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par lequel ma femme et ma fille pourront s’introduire dans l’arbre.

— Il est à vingt ou vingt-cinq pieds de hauteur, caché dans les branches et le feuillage.

— Dieu soit loué ! elles seront à l’abri.

— Oui, mais hâtez-vous de les prévenir, tandis que votre fils et moi nous préparerons tout. »

John Bright, convaincu de la nécessité de se presser, s’éloigna en courant.

L’inconnue et William construisirent alors avec cette dextérité que donne seule l’approche d’un grand danger, une espèce d’échelle assez commode qui devait servir aux deux femmes, non-seulement pour monter sur l’arbre, mais encore pour descendre dans l’intérieur.

John Bright avait éveillé sa femme et sa fille, appelé ses serviteurs ; en quelques mots il avait mis tout son monde au fait de ce qui se passait ; puis chargeant les deux femmes de provisions de bouche, de fourrures et d’objets indispensables, il les conduisait à l’endroit où l’inconnue les attendait.

« Voilà ce que je possède de plus précieux, dit John Bright ; si je le sauve, c’est à vous seule que je le devrai ! »

Les deux dames voulurent remercier leur mystérieuse protectrice.

Mais celle-ci leur imposa silence par un geste brusque et péremptoire.

« Plus tard, plus tard, dit-elle : si nous échappons, nous aurons tout le temps nécessaire pour nous congratuler réciproquement ; mais dans ce moment, nous avons autre chose de plus important à faire que de nous adresser des compliments : il s’agit de se mettre en sûreté. »

Les deux femmes reculèrent toutes froissées de cet accueil brutal, en jetant un regard curieux et presque effrayé sur cette créature étrange.

Mais celle-ci, toujours impassible., ne sembla s’apercevoir de rien ; elle expliqua, en quelques paroles nettes et brèves, le moyen qu’elle avait trouvé pour les soustraire aux regards, leur recommanda de rester silencieuses dans le creux de l’arbre, où du reste elles ne seraient pas trop à l’étroit et pourraient marcher, puis elle leur ordonna de monter.

L’inconnue exerçait, à son insu peut-être, un tel ascendant sur ceux qui l’approchaient, les émigrants reconnaissaient si bien la nécessité d’une prompte obéissance, que les deux femmes, après avoir embrassé John Bright et son fils, commencèrent à monter résolument les échelons de l’échelle improvisée.

Elles arrivèrent en quelques secondes à une énorme branche, sur laquelle, suivant l’avis de l’inconnue qui les avait suivies, elles s’arrêtèrent un instant.

John Bright jeta alors dans l’intérieur de l’arbre, par le trou qui, de cette hauteur, était parfaitement visible, puisqu’il se trouvait à deux pieds à peine au-dessus de la branche, les fourrures et les vivres qui avaient été apportés.

Puis l’échelle fut placée et les deux femmes se glissèrent par le trou.

« Nous vous laissons l’échelle qui nous est inutile, dit alors l’inconnue, mais prenez bien garde de ne pas sortir sans m’avoir revue ; la moindre imprudence dans cette circonstance pourrait vous coûter la vie. Du reste, rassurez-vous, votre emprisonnement ne sera pas long, il durera à peine quelques heures ; maintenant bon courage. »

Les femmes voulurent encore une fois lui exprimer leur reconnaissance ; mais, sans rien écouter, elle fit signe à John Bright de la suivre et descendit rapidement de l’arbre.

Aidée par les Américains, elle se hâta de faire disparaître les traces qui auraient dénoncé le passage des deux femmes.

Lorsque l’inconnue se fut assurée par un dernier regard que tout était en ordre et que rien ne viendrait trahir celles qui étaient cachées si miraculeusement, elle poussa un long soupir, et suivie des deux hommes, elle alla se placer aux retranchements.

« Maintenant, dit-elle, veillons attentivement autour de nous, car ces démons rampent probablement dans l’ombre à quelques pas ; vous êtes de francs et loyaux Américains ; montrez à ces Indiens maudits ce que vous savez faire.

— Qu’ils viennent, murmura sourdement John Bright.

— Ils ne tarderont pas, » reprit-elle, et elle désigna du doigt plusieurs points noirs presque imperceptibles, mais qui grossissaient et semblaient se rapprocher du camp à vue d’œil.


VI

LA DÉFENSE DU CAMP.


Les Peaux-Rouges ont une façon de se battre qui déconcerte tous les moyens employés par la tactique européenne.

Pour bien comprendre leur système, il faut d’abord bien savoir ceci, c’est que les Indiens ne placent point le point d’honneur là où nous le mettons.

Ceci bien entendu, le reste est bien facile à admettre.

Nous nous expliquons.

Les Indiens, lorsqu’ils entreprennent une expédition, n’ont qu’un but, le succès.

Pour eux, tout se résume là. Tous les moyens sont bons pour l’atteindre.

Doués d’un courage incontestable, téméraire parfois jusqu’à l’excès, ne s’arrêtant devant rien, ne se rebutant devant aucune difficulté ; malgré cela, lorsque le succès de leur expédition leur semble