compromis, que par conséquent le but est manqué, ils reculent aussi facilement qu’ils s’étaient avancés d’abord, ne trouvant nullement leur honneur compromis de battre en retraite et d’abandonner le champ de bataille à un ennemi plus fort qu’eux, ou se tenant bien sur ses gardes.
Aussi leur système de guerre est-il des plus simples.
Ils ne procèdent que par surprises.
Les Peaux-Rouges suivront des mois entiers leur ennemi à la piste, avec une patience que rien n’égale, sans se relâcher un seul instant de leur surveillance, l’épiant de nuit et de jour, tout en ayant soin de ne pas se laisser surprendre eux-mêmes ; puis, lorsque l’occasion se présente enfin, qu’ils croient le moment arrivé de mettre à exécution le projet dont ils ont depuis longtemps calculé toutes les chances pour et contre, ils agissent avec une vigueur et une furia qui déconcertent fort souvent ceux qu’ils attaquent ; mais, si après le premier choc ils sont repoussés, s’ils reconnaissent que ceux auxquels ils ont affaire ne se sont pas laissé intimider et sont en mesure de leur résister, alors, à un signal donné, ils disparaissent comme par enchantement et recommencent sans honte à épier le moment d’être plus heureux.
John Bright, d’après les conseils de l’inconnue, s’était placé avec ses domestiques et son fils de façon à pouvoir surveiller attentivement la prairie de tous les côtés.
L’inconnue et lui s’étaient embusqués à l’angle qui regardait le fleuve, et attendaient appuyés sur leur rifle.
John Bright ne put résister plus longtemps à son impatience, sans prononcer une parole, il abandonna son poste, sauta sur son mustang et le lança droit devant lui.
La prairie présentait en ce moment un aspect singulier.
La brise qui, au coucher du soleil, s’était levée avec une certaine force, mourait doucement en courbant à peine les cimes touffues des grands arbres.
La lune, presque éclipsée, ne répandait sur le paysage qu’une lueur incertaine et tremblotante qui, au lieu de dissiper les ténèbres, les rendait, pour ainsi dire, visibles par les contrastes frappants de l’obscurité et des rayons pâles et fugitifs de l’astre sur son déclin.
Parfois, un rauquement sourd et un glapissement saccadé s’élevaient dans le silence et venaient, comme un sinistre appel, rappeler aux émigrants qu’autour d’eux veillaient invisibles d’implacables et féroces ennemis.
La pureté de l’atmosphère était, si grande que le moindre bruit s’entendait à une longue distance, et qu’il était facile de distinguer au loin les énormes masses de granit qui tachetaient le sol de points noirs.
L’émigrant, malgré sa longue habitude du désert, n’aperçut rien de suspect ; le doute entra dans son cœur, il regagna le camp au petit pas, mit pied à terre et, reprenant son poste auprès de l’inconnue :
« Savez-vous de bonne source que nous devons être attaqués cette nuit ? lui demanda-t-il à voix basse.
— J’ai assisté au dernier conseil des chefs, » répondit-elle nettement.
L’émigrant lui lança un regard investigateur, que celle-ci surprit et comprit immédiatement ; elle haussa les épaules avec dédain.
« Prenez garde, lui dit-elle avec une certaine emphase, ne laissez pas, pour un mot, pénétrer le doute dans votre âme ; quel intérêt aurais-je à vous tromper ?
— Je ne sais, répondit-il avec un accent rêveur, mais je me demande de même quel intérêt vous pouvez avoir à me défendre.
— Aucun ; puisque vous placez la question sur ce terrain, que m’importe à moi que vos richesses soient pillées, votre femme, votre fille, et vous-même scalpés ? Cela m’est fort indifférent ; mais est-ce donc ainsi seulement qu’il faut envisager la chose ? Croyez-vous que, pour moi, les intérêts matériels soient pour beaucoup, qu’ils aient un grand poids sur mon esprit ! Si telle est votre opinion, tout est dit entre nous, je me retire, vous laissant sortir comme vous pourrez du mauvais pas dans lequel vous vous êtes mis. »
En prononçant ces paroles, elle avait jeté son rifle sur l’épaule et fait un brusque mouvement pour escalader la palissade.
John Bright l’arrêta vivement.
« Vous ne me comprenez pas, dit-il : tout homme à ma place agirait ainsi que je fais ; ma position est affreuse, vous-même le reconnaissez ; vous vous êtes introduite dans mon camp, sans qu’il me soit possible de deviner comment. Cependant jusqu’à présentée vous ai, chose que vous ne pouvez nier, témoigné la plus entière confiance ; pourtant je ne sais qui vous êtes ni quel mobile vous fait agir. Vos paroles, loin de m’éclairer, me plongent au contraire dans une incertitude plus grande ; il y va, pour moi, du salut de toute ma famille qui risque d’être massacrée sous mes yeux, du peu que je possède, enfin ; réfléchissez sérieusement à tout cela, et je vous défie ensuite de me désapprouver si je ne vous témoigne pas toute la confiance à laquelle vous avez droit sans doute, lorsque je ne sais pas encore qui vous êtes.
— Oui, répondit-elle après un instant de réflexion, vous avez raison ; le monde est ainsi fait, qu’il faut toujours que les gens déclinent d’abord leurs noms et qualités : l’égoïsme règne si bien en maître sur toute la surface du globe que, même pour rendre service à quelqu’un, on a besoin d’un certificat d’honnêteté ; car nul ne veut admettre le désintéressement du cœur, cette aberration des âmes généreuses, que les gens positifs taxent de folie ! Malheureusement il faut, malgré vous, m’admettre pour ce que je parais, au risque de me voir m’éloigner, toute confidence de ma part serait superflue. Vous me jugerez sur mes actes, la seule preuve que je puisse et veuille vous donner de la pureté de mes intentions : libre à vous d’accepter ou de refuser mon concours ; après les événements