Page:Aimard - Balle france, 1867.djvu/56

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nos hordes errantes ne sont plus que l’ombre d’un peuple. Notre religion, nos vainqueurs la méprisent, et ils veulent nous courber devant les lois du Crucifié. Ils outragent nos femmes, tuent nos enfants, brûlent nos villages, nous réduisant, quand ils le peuvent, à l’état de brutes et de bêtes de somme, sous le prétexte de nous civiliser. Vous tous, Indiens qui m’écoutez, le sang de vos pères s’est-il appauvri dans vos veines et avez-vous complètement renoncé à l’indépendance ? Répondez, voulez-vous mourir esclaves ou vivre libres ? »


L’arbre symbolique.

À ces mots prononcés d’une voix vibrante et relevés par un geste énergique, un frémissement parcourut l’assemblée ; les fronts se relevèrent fièrement, tous les yeux étincelèrent.

« Parlez, parlez encore, sachem des Pieds-Noirs, » s’écrièrent d’une seule voix tous les chefs électrisés.

Natah-Otann sourit avec orgueil ; sa puissance sur les masses lui était enfin révélée.

Il reprit :

« L’heure est enfin venue, après tant d’humiliations, de secouer le joug honteux qui pèse sur nous. D’ici à quelques jours, si vous le voulez, nous rejetterons les blancs loin de nos frontières, et nous leur rendrons tout le mal qu’ils nous ont fait. Depuis longtemps je surveille les Américains et les Espagnols, je connais leur tactique, leurs ressources ; pour les réduire à néant, que nous faut-il, Indiens, mes frères bien-aimés ? deux choses seules, de l’adresse et du courage ! »

Les Indiens l’interrompirent par des cris de joie.

« Vous serez libres ! continua Natah-Otann, je vous rendrai les riches vallées de vos ancêtres, les champs où sont enfouis leurs os, que chaque jour la charrue sacrilège disperse dans toutes les directions. Ce projet, depuis que je suis un homme, fermente au fond de mon cœur, il est devenu ma vie. Loin de moi et loin de vous que j’aie l’intention de m’imposer à vous comme chef, après surtout le prodige dont j’ai été le témoin, et l’apparition du grand Empereur ! Non, après ce chef suprême qui seul doit vous guider à la victoire, vous devez librement choisir celui qui exécutera ses ordres et vous les communiquera. Quand vous l’aurez élu, vous saurez lui obéir, le suivre partout, et passer avec lui à travers les périls les plus insurmontables, car il sera l’élu du Soleil, le lieutenant de Mocktekuzoma ! Ne vous y trompez pas, guerriers, notre ennemi est fort, nombreux, bien discipliné, aguerri, et surtout il a l’habitude, avantage immense sur vous, de nous vaincre. Nommez donc ce lieutenant, que son élection soit libre, prenez le plus digne, c’est avec joie que je marcherai sous ses ordres ! »