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» Que se passe-t-il donc ? lui demanda le Bison-Blanc.

— Rien qui vous intéresse quant à présent, mon père, bientôt vous saurez tout.

— Vous partez ainsi seul ?

— Il le faut. À bientôt ! bon espoir ! »

Le cheval de Natah-Otann hennit de douleur et partit comme l’éclair.

Dix minutes plus tard, tous les Indiens avaient disparu dans différentes directions, et autour de l’arbre du maître de la vie régnaient de nouveau la solitude et le silence.


XI

L’HOSPITALITÉ AMÉRICAINE.


Voilà à quel point en étaient les choses au moment où commence l’histoire que nous avons entrepris de raconter ; maintenant que nous avons donné les explications indispensables qui précèdent, nous reprendrons notre récit au moment où nous l’avons interrompu.

John Bright et sa famille, postés derrière les barricades qui entouraient leur camp, voyaient avec une joie mêlée d’inquiétude cette cavalcade qui arrivait sur eux comme un ouragan, en soulevant des nuages de poussière sur son passage.

« Attention, enfants, disait l’Américain à son fils et à ses serviteurs : la main sur la détente ; vous connaissez la fourberie diabolique de ces singes des prairies ; ne nous laissons pas surprendre une seconde fois par eux ! au moindre geste suspect, une balle ! Nous leur prouverons ainsi que nous sommes sur nos gardes. »

La femme et la fille de l’émigrant, les yeux fixés sur la prairie, suivaient attentivement les mouvements des Indiens.

« Vous devez vous tromper, mon ami, dit mistress Bright ; ces hommes n’ont pas de projets hostiles. Les Indiens attaquent rarement le jour ; lorsque par hasard ils le font, ils ne viennent pas ainsi à découvert.

— D’autant plus, ajouta la jeune fille, que, si je ne me trompe, j’aperçois des Européens qui galopent en tête du détachement.

— Oh ! fit John Bright, cela ne signifie absolument rien, mon enfant. Les prairies pullulent de mauvais garnements sans foi ni loi qui s’associent avec ces démons de Peaux-Rouges lorsqu’il s’agit de détrousser d’honnêtes voyageurs. Qui sait, au contraire, si ce ne sont pas les blancs qui se sont faits les instigateurs de l’attaque de cette nuit ?

— Oh ! mon père, jamais je ne croirai une chose pareille ! » reprit Diana.

Diana Bright, dont nous n’avons encore dit que quelques mots, était une jeune fille de dix-sept ans, à la taille élancée, au corsage cambré ; ses grands yeux noirs bordés de cils de velours, les épais bandeaux de ses cheveux bruns, sa bouche mignonne aux lèvres roses et aux dents de perle, en faisaient une charmante créature qui n’aurait été déplacée nulle part, et qui, au désert, devait incontestablement attirer l’attention.

Religieusement élevée par sa mère, bonne et croyante presbytérienne, Diana avait encore toute la candeur et l’innocence du premier âge, mêlées à cette expérience de la vie de tous les jours que donne l’habitude de la rude existence des défrichements, où il faut apprendre de bonne heure à penser et à se suffire.

Cependant la cavalcade approchait rapidement, déjà elle n’était plus qu’à une courte distance des retranchements américains.

« Ce sont réellement nos bestiaux qui galopent là-bas, dit William. Je reconnais Sultan, mon bon cheval.

— Et la Noire, ma pauvre laitière ! fit mistress Bright avec un soupir.

— Consolez-vous, reprit Diana, je vous réponds que ces gens nous ramènent nos bêtes. »

L’émigrant secoua négativement la tête.

« Les Indiens ne rendent jamais ce dont ils se sont une fois emparés, dit-il ; mais, by God ! j’en aurai le cœur net et je ne me laisserai pas voler ainsi sans protester.

— Attendez encore, mon père, lui répondit William en l’arrêtant, car l’émigrant se préparait à sauter par-dessus les retranchements ; nous n’allons pas tarder à savoir à quoi nous en tenir sur leurs intentions.

— Hum ! elles sont bien claires, à mon avis : les démons viennent nous proposer quelque odieux marché.

— Peut-être, mon père, peut-être, je crois que vous vous trompez, s’écria vivement la jeune fille ; et, tenez, les voilà qui s’arrêtent et semblent se consulter. »

En effet, arrivés à portée de fusil, les Indiens avaient fait halte et causaient entre eux.

« Pourquoi ne pas continuer à marcher ? demanda le comte à Balle-Franche.

— Hum ! vous ne connaissez pas les Yankees, monsieur Édouard ; je suis sûr que si nous faisions seulement dix pas de plus, nous serions salués par une grêle de balles.

— Allons donc ! fit le jeune homme en haussant les épaules ; ces hommes ne sont pas fous pour agir ainsi.

— C’est possible ; mais ils le feraient comme je vous le dis. Regardez attentivement, et vous verrez d’ici, entre les pieux de leurs retranchements, reluire au soleil les canons des rifles.

— C’est pardieu vrai ! ils veulent donc se faire massacrer ?

— Ils le seraient déjà, si mon frère n’avait pas intercédé en leur faveur, dit Natah-Otann en se mêlant à la conversation.