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Page:Aimard - Balle france, 1867.djvu/69

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les démarches de l’Ours-Gris ; s’il apprenait quelque chose de nouveau qui lui parût important, mon fils formerait ici même une pyramide de sept têtes de bisons et viendrait deux heures plus tard m’attendre, j’aurais compris son signal et je me rendrais à son appel.

Ochè ! ma mère est puissante ; cela sera fait ainsi qu’elle le désire.

— Mon fils a bien compris ?

— Les paroles de ma mère sont tombées dans les oreilles d’un chef, son esprit les a recueillies.

— Le ciel s’est changé à l’horizon en bandes rouges, le soleil ne tardera pas à paraître ; que mon fils regagne sa tribu ; il ne doit pas éveiller, par son absence, les soupçons de son ennemi.

— Je pars ; mais avant que de la quitter, ma mère, la Louve des prairies, elle dont la puissance est extrême, dont la sagesse a dérobé toute la science des faces pâles, ma mère n’a-t-elle pas fait une grande médecine afin de savoir si notre entreprise réussira et si nous parviendrons enfin à vaincre notre ennemi ? »

En ce moment, un grand bruit se fit entendre dans le cannier, et un sifflement aigu traversa l’espace ; le cheval de l’Indien coucha les oreilles, fit des efforts extrêmes pour briser la longe qui l’attachait et trembla de tout son corps.

L’inconnue saisit avec force le bras du chef et lui dit d’une voix sombre :

« Que mon fils regarde ! »

Le Loup-Rouge étouffa un cri de surprise et demeura immobile et terrifié au spectacle étrange qu’il avait sous les yeux.

À quelques pas de lui, un chat tigre et un serpent à sonnettes, campés en face l’un de l’autre, se préparaient au combat.

Leurs prunelles métalliques étincelaient et semblaient lancer des flammes.

Le chat tigre, accroupi sur une branche, replié sur lui-même, le poil hérissé, miaulait et grondait sourdement en suivant d’un œil sournois tous les mouvements de son redoutable adversaire, attendant le moment de l’attaquer avec avantage.

Le crotale, lové sur lui-même et formant une énorme spirale, sa tête hideuse rejetée en arrière, sifflait en se balançant à droite et à gauche avec des mouvements remplis de souplesse et de grâce, cherchant ou semblant du moins chercher à fasciner son ennemi.

Mais celui-ci ne lui laissa pas un long répit. Soudain il s’élança sur le serpent ; le crotale, avec une légèreté extraordinaire, se jeta de côté, et à l’instant où le chat, après avoir manqué son coup, bondissait pour revenir à la charge, il lui fit une horrible morsure à la face.

Le chat poussa un miaulement de rage et enfonça ses griffes longues et tranchantes dans les yeux du serpent, qui cependant l’étreignit d’un mouvement désespéré.

Alors les deux ennemis roulèrent sur le sol, sifflant et hurlant sans cependant se lâcher, mais cherchant au contraire à s’arracher mutuellement la vie.

La lutte fut longue ; les deux bêtes fauves se débattaient avec une force extraordinaire ; enfin les anneaux du crotale se desserrèrent et son corps flasque demeura étendu sans mouvement sur le sol.

Le chat tigre échappa, avec un miaulement de victoire, de l’étreinte terrible du monstre et s’élança sur un arbre.

Mais ses forces trahirent sa volonté, il ne put atteindre la branche sur laquelle il voulait grimper et retomba brisé sur le sol.

Alors le féroce animal, se roidissant contre la mort et surmontant l’agonie qui déjà le faisait râler, se traîna en rampant et en s’accrochant au sol au moyen de ses griffes jusqu’au corps de son ennemi, sur lequel il monta.

Arrivé sur le cadavre, il poussa un dernier miaulement de triomphe, et retomba cadavre lui-même auprès du crotale qu’il avait vaincu.

L’Indien avait suivi avec un intérêt toujours croissant les émouvantes péripéties de cette lutte cruelle.

« Eh bien ! demanda-t-il à l’inconnue, que dit ma mère ? »

Celle-ci secoua la tête.

« Notre triomphe nous coûtera la vie, répondit-elle.

— Qu’importe ! dit le Loup-Rouge, pourvu que nous abattions nos ennemis. »

Et dégainant son couteau, il se mit en devoir d’écorcher le chat tigre, afin de lui enlever sa magnifique fourrure.

L’inconnue le considéra un instant, puis, après lui avoir fait un dernier signe d’adieu, elle rentra dans le cannier au milieu duquel elle ne tarda pas à disparaître.

Une heure plus tard, le chef indien, chargé de la fourrure du chat tigre et de la peau du crotale, reprenait, au galop de son cheval, le chemin de son village.

Un sourire ironique plissait ses lèvres, il n’avait pas de prétexte à chercher pour son absence, les dépouilles qu’il emportait ne prouvaient-elles pas qu’il avait passé la nuit à chasser ?


XIII

ARRIVÉE AU VILLAGE DES KENHÀS.
— INDIENS DU SANG. —


Maintenant que les exigences de nôtre récit nous obligent à entrer en relations suivies avec les Indiens possesseurs des prairies du Missouri, nous allons faire connaître au lecteur la population primitive de ce territoire, appelée généralement Indiens pieds-noirs.

Les Pieds-Noirs formaient, à l’époque où se passe