— Pas le moins du monde, répondit celui-ci ; nous ne sommes plus qu’à quelques pas de leur village, dans lequel, pour vous faire honneur, ils veulent entrer en triomphe.
— Allons, allons, fit le jeune homme, tout cela est charmant, je ne comptais pas, sur ma foi, en venant dans les prairies, assister à des scènes aussi singulières.
— Vous n’avez encore rien vu, reprit le chasseur avec ironie, attendez, nous ne sommes qu’au commencement.
— Vraiment ? Tant mieux, alors ! » s’écria joyeusement le comte.
Natah-Otann fit un signe, les guerriers reprirent leurs rangs.
Au même instant, Lien qu’on ne vît encore personne, un bruit de conques, de tambours et de chichikouès se fit entendre à peu de distance avec un fracas effroyable.
Les guerriers poussèrent leur cri de guerre, et répondirent en portant à leurs lèvres leurs ikkochetas ou sifflets de guerre, faits avec des tibias humains, et qu’ils portent pendus au cou.
Natah-Otann se plaça alors en tête du détachement, ayant le comte à sa droite, le chasseur et Ivon à sa gauche, et, se tournant vers les siens, il éleva à plusieurs reprises son fusil au-dessus de sa tête, en poussant deux ou trois sifflements aigus.
À ce signal, toute la troupe s’élança en avant, et tourna le coude du sentier, en roulant comme une avalanche.
Le Français, assista alors à un spectacle étrange, et qui ne manquait pas d’une certaine grandeur sauvage.
Une troupe de guerriers sortis du village arrivait comme un tourbillon au-devant des nouveaux venus, en criant, en hurlant, en brandissant les armes, et tirant des coups de fusil.
Les deux troupes se chargeaient avec une frénésie inexprimable, se précipitant l’une sur l’autre à toute vitesse.
Arrivés à dix pas à peine, les chevaux parurent s’arrêter d’eux-mêmes, et commencèrent à danser, à caracoler et à exécuter toutes les passes les plus difficiles de l’équitation.
Lorsque cette manœuvre eut duré quelques minutes, les deux troupes se formèrent en demi-cercle en face l’une de l’autre, laissant entre elles un espace libre au milieu duquel les chefs se rassemblèrent.
Alors commencèrent les présentations.
Natah-Otann fit aux chefs un long discours, dans lequel il leur rendit compte de son expédition et du résultat qu’il avait obtenu.
Les sachems l’écoutèrent avec tout le décorum indien.
Lorsqu’il leur parla de la rencontre qu’il avait faite des blancs, et de ce qui s’était passé, ils s’inclinèrent silencieusement sans répondre ; seulement un chef, à visage vénérable, qui semblait plus vieux que les autres et paraissait jouir d’une grande considération parmi ses compagnons, fixa sur le comte, lorsque Natah-Otann parla de lui, un regard profond et interrogateur.
Le jeune homme, troublé malgré lui par la fixité de ce regard qui pesait sur lui, se pencha à l’oreille de Balle-Franche et lui demanda à voix basse quel était cet homme.
« C’est le Bison-Blanc, répondit le chasseur, l’Européen dont je vous ai parlé.
— Ah ! ah ! fit Je comte, le considérant à son tour avec attention, je ne sais pourquoi, mais je crois que j’aurai, plus tard, maille à partir avec cet individu. »
Le Bison-Blanc prit alors la parole.
« Mes frères sont les bienvenus, dit-il, leur retour dans la tribu est une fête, ce sont des guerriers intrépides, nous sommes heureux d’apprendre la façon dont ils se sont acquittés du mandat qui leur avait été confié. »
Puis il se retourna vers les blancs, et, après s’être incliné devant eux, il continua : — « Les Kenhàs sont pauvres, mais les étrangers sont toujours bien reçus par eux, les visages pâles sont nos hôtes, tout ce que nous possédons leur appartient. »
Le comte et ses compagnons remercièrent le chef qui leur faisait aussi gracieusement les honneurs de la tribu, puis, sur un, geste de Natah-Otann, les deux troupes se confondirent en une seule et s’élancèrent ensemble dans la direction du village, qui s’élevait à cinq cents pas à peine de l’endroit où ils se trouvaient, et à l’entrée duquel on apercevait une foule bigarrée de femmes et d’enfants rassemblés.
XIV
LA RÉCEPTION.
De même que tous les centres de population indienne qui avoisinent les défrichements américains des frontières, le village kenhà était plutôt un fort qu’une bourgade.
Ainsi que nous croyons l’avoir dit, les Kenhàs n’étaient venus que depuis peu, d’après les conseils de Natah-Otann, s’établir en ce lieu.
L’endroit était, du reste, parfaitement choisi au point de vue militaire, et grâce aux précautions qu’elle avait prise, la tribu se trouvait complètement à l’abri d’un coup de main.
Les huttes indiennes étaient disséminées, sans ordre, de chaque côté d’un ruisseau, assez large affluent sans nom du fleuve.
Les fortifications consistaient en des espèces de retranchements élevés à la hâte et composés d’arbres morts.
Ces fortifications formaient enclos, ayant plu-