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ici, reprit le Loup-Rouge ; Natah-Otann est mon ennemi ; c’est entre nous une guerre à mort : jetez toutes ces fourrures sur la jeune fille. »

Fleur-de-Liane, accroupie dans un coin, disparut bientôt sur les peaux amoncelées sur elle.

« Hum ! l’idée est bonne, murmura Balle-Franche, et vous, comment allez-vous faire ?

— Voyez. »

Le Loup-Rouge se plaça contre la peau de bison qui servait de portière, et se dissimula au milieu des plis.

« C’est ma foi vrai, fit Ivon, voyons comment il se sortira de là. »

À peine ces diverses dispositions étaient-elles prises, que Natah-Otann parut sur le seuil de la porte.

« Déjà levés ! » dit-il avec étonnement, en promenant un regard soupçonneux autour de lui.

Et il s’avança rapidement vers le comte, qui l’attendait immobile au milieu de la hutte.

Le Loup-Rouge profita de ce mouvement pour sortir sans être vu du chef.

« Je viens prendre vos ordres pour la chasse, » continua Natah-Otann.


XVII

LE FORT MACKENSIE.


Le fort Mackensie, construit en 1832 par le major Mitchell, agent principal de la société des Pelleteries de l’Amérique du Nord, se dresse comme une sentinelle menaçante à cent vingt pas environ de la rive septentrionale du Missouri, et à soixante et dix milles des montagnes Rocheuses, au milieu d’une plaine unie, abritée par une chaîne de collines. courant dans la direction du sud au nord.

Le fort Mackensie est bâti d’après le système de tous les postes avancés de la civilisation dans les prairies de l’ouest des États-Unis ; il forme un carré parfait dont les côtés ont à peu près quarante-cinq pieds de façade ; un fossé profond de huit toises et large d’autant, deux solides blockhaus et vingt pièces de canons, tels sont les éléments de défense de cette forteresse. Les habitations comprises dans l’enceinte sont basses, avec des fenêtres étroites où les vitres sont remplacées par des feuilles de parchemin. Les toits sont plats et recouverts de gazon.

Les deux portes du fort sont solides et doublées de fer. Au centre d’une place réservée dans l’intérieur de la forteresse, s’élève un mât au sommet duquel flotte le pavillon étoile des États-Unis. Deux pièces de canon font sentinelle au pied de ce mât.

La plaine qui entoure le fort Mackensie est couverte d’une herbe haute de plus de trois pieds. Cette plaine est presque continuellement envahie par les tentes des tribus indiennes qui viennent trafiquer avec les Américains, notamment les Pieds-Noirs, les Assiniboines, les Mandans, les Têtes-Plates, les Gros-Ventres, les Corbeaux et les Koutnéhés.

Les Indiens avaient montré de la répugnance à laisser les blancs s’établir sur leurs domaines, et le premier agent que la compagnie des Pelleteries avait expédié vers eux avait failli payer de sa vie cette difficile mission. Ce ne fut qu’à force de patience et d’astuce que l’on parvint à conclure avec les tribus un traité de paix et de commerce qu’elles étaient disposées d’ailleurs à rompre sous le moindre prétexte. Aussi les Américains étaient-ils toujours sur le qui-vive, se considérant comme en état de siège perpétuel. De temps à autre il arrivait encore, malgré les protestations d’amitié de la part des Indiens, qu’on rapportât au fort quelque engagé ou trappeur de la compagnie assassiné et scalpé, sans qu’il fût possible de tirer vengeance (par politique même on s’en abstenait) de ces meurtres isolés, dont le nombre, il est vrai, devenait de plus en plus rare.

Les Indiens, avec leur esprit cupide, avaient fini par comprendre que mieux valait vivre en bonne intelligence avec les faces pâles qui les approvisionnaient abondamment, en échange des fourrures, d’eau-de-vie, sans compter l’argent.

En 1834, le fort Mackensie était commandé par le major Melvil, homme d’une grande expérience, qui avait passé presque toute sa vie au milieu des Indiens, soit à leur faire la guerre, soit à trafiquer avec eux, en sorte qu’il était rompu à toutes leurs habitudes et surtout à leurs ruses. Le général Jackson, dans l’armée duquel il avait servi comme officier, faisait grand cas de son courage, de son habileté, de son expérience. Le major Melvil joignait à une énergie morale peu commune une force physique extraordinaire ; il était bien l’homme qui convenait pour tenir en respect les féroces peuplades auxquelles il avait affaire, et pour commander à ces chasseurs et à ces trappeurs au service de la compagnie, gens de sac et de corde, aventuriers indépendants, ne connaissant guère que la logique du rifle et du bownie-knife ; il avait basé son autorité sur une sévérité inflexible et sur une justice irréprochable qui avait beaucoup contribué à entretenir les bonnes relations qui existaient entre les habitants du fort et leurs astucieux amis.

La paix, depuis quelques années, à part la défiance qui en était la principale base, semblait solidement établie entre les visages pâles et les Peaux-Rouges.

Les Indiens venaient chaque année camper devant le fort et troquer paisiblement leurs fourrures contre des liqueurs, des habits, de la poudre, etc. Les soixante-dix hommes qui formaient la garnison en étaient arrivés à se relâcher peu à peu de leurs précautions habituelles pour leur sûreté, tant ils se croyaient certains d’avoir enfin amené les Indiens à renoncer à leurs coutumes pillardes, à force de concessions et de bons traitements.

Voici quelle était la position respective des blancs et des Peaux-Rouges, le jour où les exigences du