Page:Aimard - Balle france, 1867.djvu/9

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mêmes ; comme ils sont fort paresseux de leur nature, ils s’en rapportent les uns aux autres, et de là le nombre infini d’absurdités qu’ils mettent en circulation avec un aplomb superbe. Il faut en prendre son parti.


L’émigrant et ses fils escortent la voiture.
— Les Indiens ne s’y trompent pas, eux.

— C’est juste, mais les Indiens ne sont pas des savants.

— Non, ils se bornent à voir par eux-même et à n’assurer que ce dont ils sont sûrs.

— C’est ce que je voulais dire, dit le comte.

— Si vous m’en croyez, monsieur Édouard, nous resterons ici encore quelques heures, afin de laisser passer le plus fort de la chaleur, puis lorsque le soleil sera sur son déclin, nous nous remettrons en route.

— Parfaitement ; reposons-nous donc. Du reste Ivon semble être complètement de notre avis, car il n’a pas bougé. »

En effet, le Breton dormait à poings fermés.

Le comte s’était levé ; avant de se laisser retomber sur le sol, il jeta machinalement un regard sur l’immense plaine qui se déroulait calme et majestueuse à ses pieds.

« Eh ! s’écria-t-il tout à coup, qu’y a-t-il là-bas ? voyez donc, Balle-Franche. »

Le chasseur se leva et regarda dans la direction que lui indiquait le comte.

« Eh bien ! ne voyez-vous rien ? » fit le jeune homme.

Balle-Franche, la main placée en abat-jour sur ses yeux afin de les défendre de l’éclat du soleil, regardait attentivement sans répondre.

« Eh bien ! reprit le comte au bout d’un instant.

— Nous ne sommes plus seuls, répondit le chasseur, là-bas il y a des hommes.

— Comment des hommes ? nous n’avons relevé aucune trace d’Indiens.

— Je n’ai pas dit que ce fussent des Indiens, reprit Balle-Franche.

— Hum ! je suppose qu’à cette distance il vous serait assez difficile de reconnaître ce que cela peut être. »

Balle-Franche sourit.

« Vous jugez toujours avec vos connaissances acquises dans le monde civilisé, monsieur Édouard, répondit-il.

— Ce qui veut dire ? fit le jeune homme intérieurement piqué de l’observation.

— Ce qui veut dire, que vous vous trompez presque toujours.

— Pardieu, mon ami, vous me permettrez de vous faire observer, toute incrédulité à part, qu’il est impossible à cette distance de reconnaître quoi que ce soit, surtout quand on ne distingue rien, sinon un peu de fumée blanchâtre.

— N’est-ce pas assez ? Croyez-vous donc que toutes les fumées se ressemblent !

— Voilà une distinction un peu bien subtile, et je vous avoue que pour moi toutes les fumées se ressemblent.

— Voici où est l’erreur, répondit le Canadien avec un grand sang-froid, et lorsque vous aurez passé quelques années dans les prairies, vous ne vous tromperez plus. »

M. de Beaulieu le regarda attentivement, persuadé qu’il se moquait de lui.

Celui-ci continua impassiblement :

« Ce que nous aperce-