Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/133

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Ooab ! eh ihche ! — bon, — chich mik kachel ! — très bon.

Valentin retourna auprès de son fourneau, avec un sourire modeste, et fit immédiatement cuire d’autres œufs qu’il distribua aux Ulmènes et aux principaux guerriers.

Ceux-ci mêlèrent bientôt leurs félicitations à celles de l’Apo-Ulmen.

Une joie délirante s’empara de ces pauvres Indiens, peu s’en fallut que Valentin ne fût renversé, tant étaient grands les efforts qu’ils faisaient pour obtenir un œuf et s’approcher de lui, afin d’examiner de plus près la façon dont il s’y prenait pour les cuire.

Enfin, le calme se rétablit, la gourmandise du plus grand nombre fut faite ; l’Apo-Ulmen, dont il avait été jusque-là impossible d’entendre la voix au milieu du tumulte, put remettre un peu d’ordre dans la foule et obtenir le silence.

Valentin regarda son public d’un air de satisfaction. Désormais les Indiens étaient sous le charme, les plus incrédules étaient convaincus, tous attendaient avec impatience qu’il continuât sa démonstration.

— Écoutez, dit-il en frappant un grand coup sur la table avec le couteau qu’il tenait à la main, surtout observez bien comment je vais m’y prendre ; l’œuf à la coque était un jeu pour moi, mais l’omelette a besoin d’être approfondie et étudiée avec soin afin d’obtenir ce fini, ce velouté et cette perfection tant prisés par les véritables connaisseurs ; je vais faire une omelette au lard, c’est-à-dire le mets le plus recherché de l’univers ; tout en vous expliquant la façon de vous y prendre, je la confectionnerai : suivez bien mon raisonnement et la manière dont je vais manipuler les divers ingrédients qui entrent dans la confection de ce plat. Pour faire une omelette au lard il faut : du lard, des œufs, du sel, du poivre, du persil et du beurre, toutes ces choses sont là sur cette table, comme vous le voyez, maintenant je vais les mélanger.

Alors, avec une adresse incroyable et une vélocité extrême, il commença une monstrueuse omelette au lard, d’au moins soixante œufs, tout en continuant sa démonstration avec un laisser aller et une faconde inexprimables.

L’intérêt des Indiens était vivement excité, leur enthousiasme se trahissait par des sauts et des rires ; mais il fut réellement porté à son comble, et les trépignements, les cris et les hurlements devinrent effroyables lorsque les Puelches virent Valentin saisir la queue de la poêle d’une main ferme, et lancer, à quatre reprises différentes, l’omelette dans les airs, sans effort apparent, avec le sans façon et l’aisance d’un cuisinier émérite.

Dès que l’omelette fut cuite à point, le Français la plaça sur un plat en bois, en ayant soin de la plier en deux, avec le talent que les cordons bleus possèdent seuls, puis il se disposa à la porter toute fumante à l’Apo-Ulmen ; mais celui-ci, alléché par l’œuf à la coque et dont la gourmandise était excitée au plus haut point, lui épargna cette peine, car il oublia tout décorum et se précipita vers la table, suivi des principaux Ulmènes de la tribu.

Le succès du Parisien fut énorme ; de mémoire de cuisinier jamais chef n’obtint un si beau triomphe.

Valentin, modeste comme tous les hommes d’un véritable talent, se déroba