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aux honneurs qu’on voulait lui rendre, et se hâta d’aller se cacher avec son ami dans le toldo de Trangoil Lanec.

Le lendemain de ce jour mémorable, au moment où les jeunes gens se préparaient à sortir du cuarto qu’ils habitaient en commun, leur hôte se présenta à eux suivi de Curumilla.

Les deux chefs le saluèrent, s’assirent sur la terre battue qui remplaçait le parquet absent, et allumèrent leurs pipes.

Louis, habitué déjà aux manières cérémonieuses des Araucans, et convaincu que leurs amis avaient une communication sérieuse à leur faire, se rassit ainsi que son frère de lait, et attendit patiemment qu’ils jugeassent à propos de s’expliquer.

Quand leurs pipes eurent été consciencieusement fumées jusqu’à la fin, les chefs en secouèrent la cendre sur l’ongle, les repassèrent dans leur ceinture, et, après avoir échangé un coup d’œil entre eux, Trangoil Lanec prit la parole :

— Mes frères pâles veulent-ils toujours partir ? dit-il.

— Oui, répondit Louis.

— L’hospitalité indienne leur aurait-elle manqué ?

— Loin de là, chef, répondirent les jeunes gens, en lui serrant les mains avec effusion, vous nous avez traités comme des enfants de la tribu.

— Alors, pourquoi nous quitter ? reprit Trangoil Lanec, on sait ce qu’on perd, sait-on jamais ce qu’on trouvera ?

— Vous avez raison, chef, mais vous le savez, nous sommes venus en ce pays pour visiter Antinahuel, dit Louis.

— Mon frère les cheveux dorés, fit le chef, qui donnait ce nom à Valentin, a donc absolument besoin de le voir ?

— Absolument, répliqua le jeune homme.

Les deux chefs échangèrent un second regard.

— Il le verra, reprit Trangoil Lanec, Antinahuel est à son village.

— Bon ! répondit Valentin, demain nous nous mettrons en route.

— Mes frères ne partiront pas seuls.

— Que voulez-vous dire ? demanda Valentin.

— La terre indienne n’est pas sûre pour les faces pâles, mon frère m’a sauvé la vie, je le suivrai.

— Vous n’y pensez pas, chef, fit Valentin, nous sommes des voyageurs que le hasard ballotte à son gré, nous ne savons pas ce que le destin nous réserve, ni où il nous conduira après avoir vu l’homme vers lequel nous sommes envoyés.

— Qu’importe, reprit Curumilla, où vous irez nous irons.

Les jeunes gens se sentirent émus de ce dévouement si franc et si naïf.

— Oh ! s’écria Louis avec élan, c’est impossible, mes amis, et vos femmes ! et vos enfants !

— Les femmes et les enfants seront gardés par nos parents en attendant notre retour.

— Mes amis, mes bons amis, dit Valentin avec émotion, vous avez tort, nous ne pouvons pas vous imposer un tel sacrifice, nous n’y consentirons pas dans