Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/171

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— Général ! dit-il d’une voix haletante.

— Silence ! s’écria celui-ci en lui désignant le chef, indifférent en apparence, mais qui suivait avec attention tous ses mouvements.

Le général se tourna vers Antinahuêl.

— Chef, lui dit-il, j’ai des ordres à donner à cet officier, ordres pressés ; si vous me le permettez, nous reprendrons notre entretien dans un moment ?

— Bon, répondit le chef, que mon père ne se gêne pas, j’ai le temps d’attendre, moi.

Et après s’être incliné il sortit lentement de la tente.

— Oh ! dit à part-soi le général, démon ! si quelque jour je te tiens dans mes mains !… Mais, s’apercevant que la colère l’emportait trop loin, il se mordit les lèvres et se tourna vers l’officier demeuré immobile. Eh bien ! Diego, lui dit-il, quelles nouvelles, sommes-nous vainqueurs ?

L’officier secoua la tête.

— Non, répondit-il, le peuple, excité par ces démons incarnés de Cœurs Sombres, s’est mutiné.

— Oh ! s’écria le général, je ne parviendrai donc jamais à les écraser ! Que s’est-il passé ?

— Le peuple a fait des barricades, don Tadeo de Leon est à la tête du mouvement.

— Don Tadeo de Leon ! fit le général.

— Oui, celui qui a été si mal fusillé.

— Oh ! c’est une guerre à mort !

— Une partie des troupes, entraînée par ses officiers vendus aux Cœurs Sombres, est passée de leur côté : à cette heure on se bat dans toutes les rues de la ville avec un acharnement inouï. J’ai dû traverser une grêle de balles pour venir vous avertir.

— Nous n’avons pas un instant à perdre.

— Non, car, bien que les soldats qui vous sont restés fidèles se battent comme des lions, je dois vous dire qu’ils sont serrés de près.

— Malédiction ! s’écria le général, je ne laisserai pas pierre sur pierre de cette ville maudite.

— Oui, mais d’abord, il nous la faut reconquérir tout entière, et c’est une rude besogne, général, je vous jure, répondit le vieux soldat qui avait toujours conservé son franc parler.

— C’est bon ! c’est bon ! fit Bustamente ; qu’on sonne le boute-selle, chaque cavalier prendra un fantassin en croupe.

Don Pancho Bustamente était en proie à un accès de fureur inouïe.

Pendant quelques instants, il tourna dans la tente comme une bête fauve dans sa cage ; cette résistance imprévue, malgré les mesures de précaution qu’il avait prises, l’exaspérait.

Tout à coup on leva le rideau de la tente.

— Qui est là ? cria-t-il. Ah ! c’est vous, chef, eh bien, que dites-vous, enfin ?

— J’ai vu sortir le chef, et j’ai pensé que peut-être mon père ne serait pas fâché de me voir, répondit celui-ci de sa voix cauteleuse.