Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/204

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Le général hésita un instant.

Il sembla prendre enfin son parti.

— Mon Dieu, monsieur, dit-il, je suis un vieux soldat, ignorant tout ce qui est politique ; j’avais un ami, presque un frère, je suis dévoré d’une inquiétude mortelle à son sujet.

— Et cet ami ?

— C’est le général Bustamente ; vous comprenez, ajouta-t-il vivement, nous avons été soldats ensemble, je le connais depuis trente ans, je désirerais…

Il’s’arrêta en regardant son interlocuteur.

— Vous désireriez ? dit impassiblement don Tadeo.

— Savoir le sort qui lui est réservé.

Don Tadeo jeta un regard triste au général.

— À quoi bon ? murmura-t-il.

— Je vous en prie.

— Vous l’exigez !

— Oui.

— Le général Bustamente est un grand coupable ; chef du pouvoir, il a voulu changer la forme du gouvernement contre la volonté du peuple, dont il tenait son mandat, au mépris des lois qu’il a foulées aux pieds sans pudeur.

— C’est vrai, dit le général, dont le front se couvrit d’une rougeur subite.

— Le général Bustamente a été implacable pendant le cours de sa trop longue carrière ; vous le savez, celui qui sème le vent ne peut jamais récolter que la tempête.

— Ainsi ?

— On sera implacable pour lui, comme il l’a été pour les autres.

— C’est-à-dire ?

— C’est-à-dire qu’il sera probablement condamné à mort.

— Hélas ! je m’y attendais, mais cette condamnation dont vous me parlez, se fera-t-elle longtemps attendre ?

— Deux jours au plus, la commission qui doit le juger sera formée aujourd’hui même.

— Pauvre ami ! fit piteusement le général, enfin !… voulez-vous m’accorder une grâce, monsieur ?

— Parlez.

— Puisque le général doit mourir, ce serait pour lui une consolation d’avoir un ami à ses côtés.

— Sans doute.

— Accordez-moi sa garde, je suis sûr qu’il sera heureux de savoir que c’est moi qui suis chargé de veiller sur lui et de le conduire à la mort, et puis au moins je ne l’abandonnerai pas jusqu’au dernier moment.

— Soit, votre demande est accordée. Vous n’avez pas autre chose à me dire, général, je serais heureux de vous être agréable ?

— Non, je vous remercie, monsieur, voilà tout ce que je désirais. Ah ! un mot encore.

— Parlez.