Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’un mince filet d’eau coulant clair et limpide dans la plaine, grossie en ce moment par quelque pluie ou quelque fonte de neige dans la montagne, roulait des eaux bruyantes et jaunâtres.

Par intervalles, un vent froid frissonnait dans le pâle feuillage des saules, la lune avait disparu sous les nuages et le ciel avait pris une teinte d’acier, sinistre et menaçante.

Il y avait de l’orage dans l’air.

La prudence ordonnait de s’arrêter et de s’abriter aussi bien que possible, au lieu de s’obstiner à marcher dans les ténèbres qui, d’instants en instants, se faisaient plus intenses ; l’ordre de camper fut accueilli par les compagnons de Valentin avec un cri de joie, et chacun se hâta de tout préparer pour passer la nuit.

Les Américains, habitués à la vie nomade, qui plus souvent dorment sous le ciel nu que sous un toit, ne sont jamais embarrassés de se confectionner des abris.

Des feux furent allumés pour éloigner les bêtes fauves et combattre le froid piquant de la nuit, et des huttes de feuillages et de branches entrelacées s’élevèrent comme par enchantement.

Alors chacun, fouillant dans ses alforjas, espèces de larges poches de toile rayée que les huasos et les soldats chiliens portent constamment avec eux, en tira le chargué et la harina tostada, qui devaient composer le souper.

Les repas des hommes fatigués d’une longue route sont courts, le sommeil est leur premier besoin ; une heure plus tard, excepté les sentinelles qui veillaient à la sûreté commune, tous les soldats dormaient profondément.

Seuls, sept hommes assis autour d’un immense brasier qui brûlait au milieu du camp, causaient entre eux en fumant.

Ces hommes, le lecteur les a reconnus.

— Mes amis, dit Valentin en ôtant son cigare de sa bouche et en suivant des yeux la légère colonne de fumée bleuâtre qu’il venait de lancer, nous ne sommes plus à une grande distance de Valdivia.

— À dix lieues à peine, répondit Joan.

— Je crois, sauf meilleur avis, reprit Valentin, que nous ferons bien, avant de prendre un repos dont nous avons tous un si pressant besoin, de convenir de nos faits et d’arrêter une détermination quelconque.

Tous inclinèrent la tête en signe d’assentiment.

— Nous n’avons pas besoin de rappeler la raison qui nous a fait, il y a quelques jours, quitter Valdivia, cette raison devient à chaque instant plus importante : différer davantage de commencer nos recherches, c’est rendre notre tâche plus ardue et, le dirai-je, presque impossible ; entendons-nous donc bien, afin qu’une fois que nous aurons résolu une chose, nous l’exécutions sans hésiter et avec toute la célérité possible.

— Qu’est-il besoin de discuter, mon ami ? dit vivement don Tadeo, demain, au point du jour, nous reprendrons le chemin des montagnes, et nous laisserons les soldats continuer leur marche sur Valdivia, sous la