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Heureusement que dans ce pays les chevaux et les mules sont tellement habitués à marcher dans des chemins fantastiques et impossibles, qu’ils se tiennent sans trébucher et vont sans aucune crainte sur ces ponts et d’autres bien plus dangereux encore.

Ce passage difficile a été nommé par les Aucas Jaua-Karam, parce que, d’après ce que rapporte le légende, à l’époque où fut tentée la conquête de l’Araucanie, un sorcier huiliche, qui jouissait d’une grande réputation de sagesse dans sa tribu, poursuivi de près par des soldats castillans, sauta sans hésiter le précipice, soutenu dans cette traversée périlleuse par les génies de l’air envoyés par Pillian pour le sauver, au grand ébahissement des Espagnols, qui se retirèrent tout penauds d’avoir vu leur victime leur échapper ainsi.

Quoi qu’il en soit de la vérité un peu apocryphe de cette légende, toujours est-il que le pont existe tel que nous l’avons décrit, et que les voyageurs le traversèrent sans coup férir, mais non sans trembler.

— Ah ! s’écria Trangoil Lanec en montrant aux jeunes gens le chemin qui s’élargissait et se continuait à quelques milles plus loin dans un llano immense, à présent que nous avons de l’espace devant nous, nous sommes sauvés.

— Pas encore ! répondit Curumilla en désignant du doigt une colonne de fumée bleuâtre qui montait en spirale vers le ciel.

Ooch ! reprit le chef, seraient-ce encore les Serpents Noirs ? ils nous auraient donc précédés, au lieu de nous suivre ? comment se fait-il qu’ils se hasardent ainsi sur le territoire chilien ? Retirons-nous pour la nuit dans ce petit bois de Chiri Moyas qui se trouve là sur la droite, et veillons avec soin si nous ne voulons pas être surpris et faits prisonniers, car cette fois je ne réponds pas que nous nous retirions sains et saufs de leurs mains.

Bientôt toute la troupe fut cachée, comme une nichée d’oiseaux poltrons, au fond d’un fourré inextricable, où il était impossible de soupçonner sa présence.

Pour surcroît de précautions, aucun feu ne fut allumé, et les quelques paroles que les voyageurs échangeaient entre eux n’étaient prononcées qu’à voix basse et à l’oreille.




XLIII

LE QUIPOS


Après un repas frugal, les voyageurs se préparaient à se livrer au repos, lorsque César s’élança en avant en hurlant avec fureur.

Chacun sauta sur ses armes.

Il y eut un moment d’attente suprême.

Enfin, un bruit de pas se fit entendre, les buissons s’écartèrent et un Indien parut.

Cet Indien était Antinahuel, le Tigre-Soleil.