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Le Forestier

mais nombreuses fenêtres en ogive y laissaient pénétrer à travers des vitrages plombés un jour à peine suffisant ; les murs disparaissaient sous des boiseries en chêne, noircies par le temps et garnies de bois de cerfs, de daims, d’epieux, de cors, de défenses de sangliers, etc. ; des bras de fer soutenaient d’espace en espace des torches, dont la fumée montait en spirale jusqu’au plafond et formait un nuage bleuâtre au-dessus de la tête des convives.

Au centre de cette immense pièce, dallée de larges pierres blanches, se trouvait une énorme table en forme de fer à cheval, dont le haut bout, destiné à la famille et aux hôtes de la maison, était élevé de trois marches et se trouvait ainsi sur une estrade.

Deux immenses pièces d’argenterie curieusement ciselées et renfermant des épices et des sauces de toutes sortes établissaient une ligne de démarcation à droite et à gauche entre tes maîtres et tes serviteurs ; ces pièces d’argenterie étaient des salières ; à cette époque, dans tes colonies espagnoles ainsi que dans la mère-patrie, on conservait encore l’usage patriarcal de servir les maîtres et tes serviteurs à la même table.

D’énormes flambeaux en cuivre, vissés de distance en distance sur la table, contenaient des cierges allumés.

Au haut bout de la table, couvert d’une fine nappe damassée en toile de Hollande, et garni d’une lourde argenterie, se trouvaient deux candélabres à sept branches avec des bougies roses allumées.

La vaisselle du bas bout de la table était commune, la nappe manquait.

Cinq couverts étaient mis sur l’estrade, au milieu celui de l’haciendero, à sa droite celui du comte, à gauche celui de doña Flor, puis venait la place du chapelain, auprès de doña Flor, et à côté de don Fernan, le couvert d’un jeune homme de bonne mine à la moustache outrageusement retroussée et à l’œil plein d’éclairs.

Michel le Basque et le mayordomo avaient chacun une place réservée auprès des salières, puis les autres serviteurs venaient par rang d’âge ou d’ancienneté.

Lorsque le comte don Fernan pénétra dans le réfectoire, la famille de l’haciendero était debout sur l’estrade ; les serviteurs se tenaient, eux aussi, immobiles et silencieux devant leurs places.

Mon cher hôte, dit affectueusement don Jesus, permettez-moi de vous présenter mon digne chapelain le père Sanchez, mon ami don Pablo de Sandoval, capitaine de marine au service de Sa Majesté, et enfin doña Ftor, ma fille ; maintenant, père Sanchez, que la présentation est faite, veuillez, je vous prie, dire le benedicite afin que nous nous mettions à table.