Page:Aimard - Le forestier.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
Le Forestier

de la chaumière pendant trois jours. Sa Majesté Philippe IV devait recevoir un ambassadeur du roi de France, arrivé depuis la veille à Tolède, où la cour qui, dans le principe, ne devait rester que quelques jours, semblait avoir fixé sa résidence, du moins provisoirement ; depuis cinq mois déjà, elle habitait l’Alcazar des rois maures.

On ne savait à quoi attribuer cette prédilection subite du roi pour la ville de Tolède ; mais les habitants de la province et ceux de la ville étaient fort satisfaits de ce séjour prolongé, qui donnait un grand essor au commerce ; et, entre autres avantages, avait produit celui de délivrer la Sierra de Tolède des bandits qui l’infestaient et avaient jusque-là joui d’une impunité complète, au grand détriment des paisibles habitants de la ville et des environs.

Le lendemain même de la chasse que nous avons rapportée, plusieurs détachements de troupes avaient complètement cerné la montagne, que d’autres soldats battaient en même temps dans tous les sens. Les bandits avaient tous été pris et pendus aussitôt haut et court, sans autre forme de procès.

Donc, don Felipe se retira en annonçant, ce qui chagrina fort toute la famille, que la présentation de l’ambassadeur français le retiendrait trois jours, mais que le quatrième on le verrait arriver ventre à terre auprès de ses bons amis.

Deux jours s’étaient écoulés ; le matin du troisième, le père Sanchez, le digne instituteur des jeunes filles et l’ami dévoué de la famille, descendit de sa mule devant la porte de la chaumière ; chacun accourut avec empressement à sa rencontre ; le bon curé semblait triste et préoccupé.

C’était à cette époque un homme de trente-cinq ans environ, mais au visage austère, à la parole grave, vieilli avant l’âge par le malheur et la triste expérience du cœur humain.

La visite que, ce jour-là, le curé faisait à la chaumière, était complètement en dehors de ses habitudes ; il avait cessé depuis plus d’un an déjà de donner des leçons aux jeunes filles, dont l’instruction était terminée ; deux fois par mois, trois fois au plus ; il venait passer quelques heures dans la famille du forestier, jamais davantage : or, il y avait à peine cinq jours que le digne prêtre avait fait sa visite habituelle. Les dames, tout en étant charmées de le voir, ne comprenaient rien à cette visite si en dehors des habitudes du père Sanchez, l’homme réglé et ponctuel par excellence.

En serrant la main du forestier, le prêtre lui glissa à l’oreille :

— Trouvez un prétexte pour que nous soyons seuls, j’ai à vous entretenir d’une affaire importante.