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Le Forestier

— Pas celle de Turpin.

— Je crois que si ; c’était pour échapper aux obsessions de son premier ministre, qu’il détestait, mais auquel il avait laissé prendre tant d’influence sur lui qu’il n’osait s’en débarrasser autrement. Le dit roi arriva un jour dans sa bonne ville de Cordoue.

— Ou de Tolède, fit en ricanant le forestier.

— Que voulez-vous dire, mon ami ? s’écria le prêtre en tressaillant.

— Rien, padre, rien encore ; continuez, je vous prie, cette histoire m’intéresse extraordinairement.

— Soit, donc or, à son arrivée dans la ville de Cordoue ou de Tolède, comme il vous plaira.

— Je préfère Tolède.

— Disons Tolède, je le veux bien une chasse fut organisée ; auprès de la ville se trouve une montagne fort giboyeuse ; donc la cour se mit en chasse ; malheureusement le roi, se laissant emporter par le plaisir tout nouveau pour lui de se trouver à peu prés libre, perdit la chasse.

— Pauvre roi !

— Oui, certes, pauvre roi, car il s’égara si bien qu’il lui fut impossible de rejoindre sa cour ; sur ce fait la nuit vint et un orage effroyable éclata, comme si ce n’était pas assez pour accabler le malheureux prince et pour compliquer encore l’affreuse position dans laquelle il se trouvait…

— Six bandits surgirent subitement devant lui, interrompit le forestier, l’attaquèrent tous à la fois, tuèrent son cheval, le malmenèrent de telle sorte que si, sur ces entrefaites, un chasseur égaré, lui aussi, n’était subitement venu à son secours, le roi don Felipe sans numéro, était mort ; maintenant continuez, padre, je vous prie.

— Vous connaissez donc cette histoire ?

— En gros, comme vous voyez, mais j’en ignore complètement les détails ; et ce sont les détails surtout qui sont intéressants, n’est-ce pas, padre ? donc, je vous écoute.

— Que vous dirai-je de plus, mon ami ? le chasseur délivra le roi des bandits qui l’attaquaient ; il le sauva au péril de sa vie des dangers non moins terribles d’un ouragan dans la montagne ; bref, son dévouement pour le prince qu’il ne connaissait pas fut complet, absolu, loyal et sans arrière-pensée il conduisit le roi dans sa demeure, lui offrit l’hospitalité la plus large. Le roi vit ses filles. Le chasseur avait deux filles ravissantes, toutes deux pures, simples, candides et naïves.