dans le seul but de nous humilier ; la nature ne conserve pas de secret pour celui qui sans cesse épie dans l’ombre de la nuit ou à la clarté du soleil, avec une patience à toute épreuve, sans se laisser décourager par l’insuccès, ses mystérieuses harmonies ; l’Architecte sublime, quand il a créé cet immense univers, ne l’a laissé tomber de ses mains puissantes que lorsqu’il a été bien complet et que la dose du bien balança partout celle du mal, en plaçant, pour ainsi dire, l’antidote auprès du poison.
L’étranger écoutait avec une surprise croissante les paroles de cet homme, dont le caractère véritable était pour lui une énigme et qui, à chaque instant, se faisait connaître à lui sous des jours diamétralement opposés et des apparences entièrement distinctes.
— Mais, continua l’inconnu, l’orgueil et la présomption rendent l’homme aveugle ; habitué à tout rapporter à soi-même, s’imaginant que tout ce qui existe a spécialement été créé pour sa convenance, il ne se donne la peine d’étudier les secrets de la nature que dans ce qu’ils paraissent avoir de directement en rapport avec son bien-être personnel, sans se soucier d’interroger ses actes les plus simples : ainsi, par exemple, la région où nous nous trouvons étant basse et marécageuse doit naturellement être infestée de reptiles, d’autant plus dangereux et plus redoutables qu’ils sont à demi calcinés et rendus furieux par les rayons d’un soleil torride. Or, la nature prévoyante a fait croître en abondance dans ces mêmes parages une liane nommée mikania, celle-là même dont je me suis servi, qui est contre la morsure des serpents un remède infaillible.
— Je n’en saurais douter, maintenant que j’en ai vu les effets, mais comment a-t-on découvert la propriété de cette liane ? dit l’étranger, intéressé malgré lui au plus haut point.
— Un coureur des bois, continua l’inconnu avec une certaine complaisance, remarqua que le faucon noir, plus connu sous le nom de guaco, oiseau qui fait sa nourriture ordinaire des reptiles, semblait surtout se plaire à faire aux serpents une guerre acharnée ; ce coureur des bois remarqua aussi que, si parfois, pendant la lutte, le serpent réussissait à piquer le guaco, celui-ci cessait aussitôt le combat et s’envolait vers cette liane dont il arrachait quelques feuilles qu’il broyait dans son bec, puis il retournait plus acharné au combat jusqu’à ce qu’il fût parvenu à vaincre son redoutable ennemi ; ce coureur des bois était un homme sage et expérimenté qui savait que les animaux, étant dénués de raison, sont plus spécialement placés sous la surveillance de Dieu, et que tout ce qu’ils font a une cause réglée d’avance ; après mûre réflexion, il se décida à tenter l’expérience sur lui-même.
— Et il exécuta son projet ! s’écria l’étranger.
— Certes, il se fit piquer par un corail, le serpent le plus dangereux de tous ; mais, grâce à la mikania, la piqûre fut aussi inoffensive pour lui que si elle avait été faite par une épine d’églantier ; voilà de quelle façon a été trouvé ce précieux remède. Mais, ajouta l’inconnu en changeant subitement de ton, j’ai accédé à votre désir en portant secours à votre fille ; elle est sauvée. Adieu ! il est temps que je m’éloigne.
— Pas avant de m’avoir dit votre nom.