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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Quoi qu’il advienne, je vous suivrai ; ma fille ne peut demeurer ainsi, vous avez trop fait pour elle pour ne pas la sauver ; je me fie à vous, indiquez-moi le chemin.

— Soit ! répondit laconiquement l’inconnu, je vous avertis, c’est à vous d’être sur vos gardes.


III

LE CALLI


Autant l’inconnu semblait avoir mis d’hésitation à offrir un abri à don Pedro de Luna et à sa fille, — et nous savons dans quels termes cette offre avait à la fin été faite, — autant, dès qu’il eut pris son parti, il se montra pressé de quitter la partie de la forêt où s’était passée la scène que nous avons rapportée dans notre précédent chapitre. Ses yeux erraient continuellement autour de lui avec une inquiétude qu’il ne se donnait pas la peine de déguiser, tournant la tête du côté du monticule, comme s’il se fût attendu à voir surgir tout à coup au sommet de cette colline quelque effroyable apparition.

Dans l’état où se trouvait la jeune fille, la réveiller eût été commettre une grave imprudence qui aurait sérieusement compromis sa santé ; sur les indications données d’une voix sèche par l’inconnu, les peones de don Pedro et l’haciendero lui-même se hâtèrent de couper des branches d’arbres, afin de confectionner un brancard qu’ils couvrirent de feuilles sèches par-dessus lesquelles ils étendirent leurs zarapés, dont ils se dépouillèrent afin de former à leur jeune maîtresse une couche moins dure.

Lorsque ces préparatifs furent terminés, la jeune fille fut soulevée avec la plus grande précaution et placée doucement sur le brancard.

Des trois hommes qui accompagnaient don Pedro, deux étaient des peones ou domestiques indiens ; le troisième était le capataz de l’hacienda.

Ce capataz était un individu de cinq pieds huit pouces environ, aux épaules larges et aux jambes arquées par l’habitude d’être à cheval ; il était d’une maigreur extraordinaire ; mais on pouvait avec raison dire de lui qu’il n’était que muscles et nerfs ; sa vigueur était extraordinaire ; cet homme, âgé de quarante-cinq ans environ, se nommait Luciano Pedralva et était dévoué corps et âme à son maître, que sa famille servait sans interruption depuis près de deux siècles.

Ses traits, brunis par les intempéries des saisons, bien que vulgaires, avaient cependant une expression d’intelligence et de finesse à laquelle ses yeux noirs et bien ouverts imprimaient un cachet d’énergie et d’audace peu communes ; don Pedro de Luna avait la plus grande confiance en cet homme, qu’il considérait plutôt comme un ami que comme un serviteur.

Lorsque la jeune fille eut été déposée sur le brancard, les peones le soulevèrent, tandis que don Pedro et le capataz se placèrent l’un à droite et l’autre