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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Oui, murmura-t-il, il est mort en soldat, en faisant face à l’ennemi, mais, hélas ! il est tombé dans une embuscade, victime d’une trahison, tué par un homme de sa couleur. Mon vieil ami devait-il donc finir ainsi !

— Dieu l’a voulu, répondit philosophiquement le jeune homme.

— Oui, dit le major, à nous d’accomplir notre devoir comme il a accompli le sien.

Ils relevèrent le cadavre, le placèrent en travers sur un cheval, et la petite troupe regagna tristement le présidio.

Cependant don Torribio était en proie à un violent dépit ; son projet n’avait pas réussi. Ce n’était pas la mort du gouverneur de la colonie qu’il voulait, car cette mort, loin de lui être utile, lui était, au contraire, préjudiciable, en inspirant aux Mexicains le désir de la vengeance et en les engageant à résister jusqu’au dernier soupir, et à s’ensevelir sous les ruines du présidio plutôt que de se rendre à leurs féroces ennemis. Ce qu’il avait voulu, c’était s’emparer de don José, de le tenir prisonnier entre ses mains, et par ce moyen arriver à traiter avec les habitants.

Mais la résistance énergique du vieux soldat et le parti qu’il avait cris de se brûler la cervelle plutôt que de se rendre avaient dérangé tous ses plans. Aussi, pendant que ses compagnons se réjouissaient entre eux de ce qu’ils regardaient comme un succès, mais qui pour lui était une défaite, rentrait-il sombre et mécontent.

Manuela et doña Hermosa avaient profité de l’absence du chef pour quitter leur déguisement indien et reprendre leur costume.

Lorsque don Torribio arriva à son toldo, le sorcier, qui ne s’était pas éloigné depuis qu’il y avait introduit les deux femmes, s’avança vers lui.

— Que veux-tu ? lui demanda-t-il.

— Que mon père me pardonne, répondit respectueusement le sorcier ; deux femmes se sont cette nuit introduites dans le camp.

— Que m’importe cela ? interrompit le chef avec impatience.

— Ces femmes, quoique revêtues du costume indien, sont blanches, dit l’amantzin en appuyant sur ses paroles.

— Que me fait cela ? ce sont probablement des femmes de vaqueros.

— Non, répondit le sorcier en secouant la tête, leurs mains sont trop blanches et leurs pieds trop petits pour cela.

— Ah ! fit le chef que ces mots commençaient à intéresser, et qui les a faites prisonnières ?

— Personne, elles sont venues seules.

— Seules ?

— Oui, elles ont, disent-elles, d’importantes communications à faire à mon père.

— Ah ! fit le chef en lançant un regard profond au sorcier, et comment mon père sait-il cela ?

— C’est moi qui les ai protégées et les ai introduites dans le toldo de mon père.

— Elles sont donc là ?

— Oui, depuis près d’une heure.