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Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/282

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LES CHASSEURS D'ABEILLES

Don Torribio prit quelques onces qu’il remit au sorcier.

— Je remercie mon frère de ce qu’il a fait, dit-il avec agitation, il a bien agi.

L’amantzin s’inclina avec une grimace de singe.

Le jeune homme s’élança vers le toldo, dont il souleva vivement le rideau ; il ne put retenir un cri de joie et d’étonnement en reconnaissant doña Hermosa.

Celle-ci sourit.

— Que signifie cela ? dit-il à part lui.

Et il s’inclina gracieusement devant la jeune fille.

Doña Hermosa ne put s’empêcher d’admirer le jeune homme : son riche costume militaire lui allait à ravir ; en faisant ressortir tous les mâles avantages de son visage et de sa taille, il lui donnait quelque chose de majestueux dont l’attrait était indéfinissable.

— Quel nom dois-je vous donner, caballero ? lui dit-elle en lui faisant signe de prendre place à ses côtés.

— Donnez-moi le nom qui vous conviendra le plus, señorita, répondit-il respectueusement : si vous vous adressez à l’Espagnol, nommez-moi don Torribio ; au contraire, si c’est à l’Indien que vous voulez parler, les Apaches ne me connaissent que sous le nom de Maudit ajouta-t-il avec tristesse.

— Pourquoi cette redoutable qualification ? dit-elle.

Il y eut un moment de silence.

Les deux interlocuteurs s’examinaient avec soin.

Doña Hermosa cherchait une transition pour arriver à parler du but de sa visite. Lui, il se demandait intérieurement quelle raison avait pu déterminer la jeune fille à se rendre auprès de lui.

Ce fut don Torribio qui, le premier, reprit la parole.

— Est-ce bien moi que vous cherchiez en venant ici, señorita ? dit-il.

— Et qui donc ? répondit-elle.

— Vous excuserez cette insistance de mauvais goût, reprit-il, mais ce qui m’arrive en ce moment me semble tellement extraordinaire, que j’ai peine encore, quoique je vous voie, quoique je vous entende, à ajouter foi à un si grand bonheur : tout cela me semble un rêve, je crains de me réveiller.

Cette espèce de madrigal fut prononcé avec l’accent qu’aurait employé don Torribio Quiroga en visite chez don Pedro de Luna, accent qui ajoutait encore à l’étrangeté de cette scène, tant il était en désaccord avec les objets intérieurs et le lieu dans lequel se trouvaient les deux interlocuteurs.

— Mon Dieu ! dit doña Hermosa du même ton léger que le jeune homme employait avec elle, je veux faire cesser votre peine, et me dépouiller à vos yeux de cette apparence de sorcière dont vous n’êtes pas loin de me croire douée.

— Vous n’en resterez pas moins une enchanteresse pour moi, interrompit-il avec un sourire.

— Vous êtes un flatteur ; dans toute cette affaire, s’il existe un sorcier, c’est le pauvre Estevan, qui, sachant que je voulais absolument vous voir, m’a dit en quel lieu je vous rencontrerais : ainsi, si vous avez un brevet de sorcier à accorder, donnez-le à Estevan, car lui seul y a droit.