Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
293
LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Je vous le jure, don Torribio ; ce qui est dans ce toldo est sacré ; nul, ennemi ou ami n’en approchera. Moi et les quelques hommes que vous avez mis sous mes ordres, nous nous ferons tuer à cette place, sans reculer d’une ligne, plutôt qu’une insulte soit faite à ceux ou à celles que vous aimez.

— Merci ! dit don Torribio en serrant affectueusement la main du vaquero.

Celui-ci saisit le bas du manteau de son chef et le baisa respectueusement.

Après avoir jeté un dernier regard d’amour sur le toldo qui renfermait, comme il venait de le dire, tout ce qu’il aimait au monde, le jeune homme s’éloigna à grands pas.

— Maintenant, dit-il, soyons homme, c’est contre des hommes que nous avons à combattre.

Aussitôt que le sachem les eut renvoyés à leurs postes, les chefs, dont tous les guerriers n’attendaient qu’un mot pour commencer leur mouvement, s’étaient rendus aux divers endroits où leurs tribus étaient échelonnées.

Alors les hommes, se couchant à plat ventre sur le sol, avaient commencé une de ces marches impossibles, comme les Indiens seuls sont capables d’en faire ; glissant et rampant comme des serpents dans les hautes herbes, ils étaient parvenus, au bout d’une heure, à se poster, sans avoir été aperçus, au pied même des retranchements occupés par les Mexicains.

Ce mouvement avait été exécuté avec tant d’ensemble et de bonheur, que le silence de la prairie n’avait été troublé en aucune façon, et que rien ne semblait avoir bougé dans le camp, qui paraissait plongé dans le sommeil.

Cependant, quelques minutes à peine avant que les sachems reçussent les derniers ordres du Chat-Tigre, un homme revêtu du costume des Apaches avait, avant tous les autres, quitté le camp, et s’était dirigé vers la ville en s’aidant des mains et des genoux.

Arrivé à la première barricade, un autre homme qui, penché en avant, semblait écouter avec anxiété les bruits de la nuit, lui avait tendu la main pour entrer dans la ville en lui disant ;

— Eh bien ! Estevan ?

— Avant une heure nous serons attaqués, major, répondit le mayordomo.

— Est-ce une attaque sérieuse ?

— Un assaut : les Indiens veulent en finir, ils ont peur d’être empoisonnés comme des rats, s’ils attendent davantage.

— Que faire ? murmura l’officier avec inquiétude.

— Nous faire tuer, répondit résolument don Estevan.

— Pardieu ! le beau conseil que tu me donnes là ! ce sera toujours notre dernière ressource.

— On peut tenter encore une autre chose.

— Laquelle ? parle, au nom du ciel !

— Tout est-il préparé comme nous en sommes convenus ?

— Oui, mais qu’avais-tu à me proposer ?

— Donnez-moi vingt-cinq vaqueros dont vous soyez sûr.

— Prends-les, et puis, où les conduiras-tu ?