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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Mon père ! s’écria le jeune homme avec élan… lui ! oh ! ce serait trop de bonheur !

— Oui, don Pedro est votre père, reprit le Chat-Tigre, et voilà votre sœur, ajouta-t-il en lui désignant du doigt doña Hermosa d’un air moqueur.

Les deux jeunes gens étaient atterrés ; don Pedro, en proie à un commencement de crise nerveuse, sentait sa raison l’abandonner ; il semblait ne plus rien entendre et demeurait en apparence complètement étranger à cette scène terrible.

Le Chat-Tigre jouissait de son triomphe. Don Estevan, effrayé de l’état dans lequel il voyait l’haciendero, jugea qu’il était temps d’intervenir.

— Don Pedro, dit-il d’une voix forte en lui appuyant fortement la main sur l’épaule, revenez à vous, ce misérable a menti, vos enfants sont dignes de vous, j’étais avec eux, moi, au Voladero.

Don Pedro parut faire un puissant effort pour ressaisir le fil de ses idées qui lui échappaient ; tout son corps fut agité d’un mouvement nerveux ; il tourna la tête vers don Fernando, le considéra un instant, puis un sanglot déchira sa poitrine. Les larmes sortirent enfin de ses yeux brûlés de fièvre, et il s’écria d’une voix vibrante, en se laissant aller sur la loyale poitrine du jeune homme :

— Oh ! c’est vrai ! c’est vrai ! n’est-ce pas, Estevan ?

— Je vous le jure ! don Pedro, dit-il d’un ton de conviction profonde.

— Merci ! merci ! Oh ! je savais bien qu’il mentait, le misérable ! Mes enfants ! mes enfants !

Les deux jeunes gens se jetèrent dans ses bras en l’accablant de caresses.

Le Chat-Tigre, les bras croisés sur la poitrine et le regard ironique, s’écria avec son ricanement sinistre :

— Ils s’aiment, te dis-je, mon frère ! marie-les !

— Ils ont le droit de s’aimer ! dit une voix éclatante. Chacun se retourna avec étonnement : Na Manuela venait d’entrer dans le jacal.

— Ah ! dit-elle en jetant un regard railleur au Chat-Tigre, effrayé malgré lui, sans savoir pourquoi, de cette apparition subite, le jour de la justice est venu enfin ! il y a longtemps que je l’attendais ; mais justice sera rendue à tous ; et c’est moi que Dieu a choisie pour manifester sa puissance !

Tous les assistants considéraient avec un mélange d’admiration et de respect cette femme qui semblait subitement transfigurée ; son regard rayonnait, il lançait des éclairs ; elle s’avança calme et imposante vers l’haciendero :

— Don Pedro, mon maître chéri, dit-elle avec une voix profondément accentuée par l’émotion qui la maîtrisait, pardonnez-moi ; je vous ai fait longtemps souffrir, mais c’est Dieu qui m’inspirait ; c’est lui, lui seul qui a dicté ma conduite : don Fernando n’est pas votre fils, il est le mien ; votre fils, ajouta-t-elle en lui présentant don Estevan, le voici !

— Lui ! s’écrièrent tous les assistants.

— Mensonge ! hurla le Chat-Tigre.

— Vérité ! répondit péremptoirement Na Manuela. La haine est aveugle, don Leoncio : en croyant enlever le fils de votre frère, c’est de celui de la