Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
LES CHASSEURS D’ABEILLES

blera votre sommeil ; dans une heure j’enverrai quelqu’un vous apporter une potion que vous ferez boire à la jeune dame. À demain !

Et s’inclinant avec une aisance et une courtoisie que don Pedro était loin d’attendre d’un pareil homme, le Chat-Tigre prit congé et se retira.

Pendant quelques instants, son pas retentit sous les voûtes sombres du corridor, puis il s’éteignit. Les voyageurs étaient seuls ; l’haciendero se décida alors à pénétrer dans les chambres préparées pour lui.


IV

RENSEIGNEMENTS SUPERFICIELS


Quoi qu’en aient dit certains auteurs mal renseignés, les haciendas de l’Amérique espagnole ne sont nullement des majorats, mais seulement de grandes exploitations agricoles, ainsi que l’indique assez clairement leur nom.

Ces haciendas, disséminées sur le sol mexicain à de grandes distances les unes des autres et entourées de vastes étendues de terrains inhabitées pour la plupart, s’élèvent ordinairement sur le sommet de collines abruptes, dans une position facile à défendre.

Comme l’hacienda proprement dite, c’est-à-dire l’habitation du propriétaire de l’exploitation, forme le centre de la colonie, et en sus des greniers et des écuries, renferme encore les granges, le logement des peones et surtout la chapelle, ses murs sont élevés, épais et entourés d’un fossé, afin de la mettre à l’abri d’un coup de main.

Ces haciendas fort nombreuses entretiennent souvent six à sept cents individus de tous métiers ; les terrains qui dépendent de ces fermes sont la plupart plus étendus qu’un département entier de notre France.

C’est dans ces haciendas que se fait en grand l’élève des chevaux sauvages et des taureaux paissant en liberté dans les prairies, surveillés de loin par des peones vaqueros aussi indomptés qu’eux-mêmes.

L’hacienda de las Norias de San-Antonio, c’est-à-dire des puits de SaintAntoine, s’élevait gracieusement au sommet d’une colline couverte de bois épais : de mahoganys, d’arbres du Pérou et de mezquites qui lui formaient une éternelle ceinture de feuillage dont le vert un peu pâle tranchait avec la blancheur mate de ses hautes murailles couronnées d’almenas, espèces de créneaux destinés à faire connaître la noblesse du propriétaire de l’exploitation. En effet, don Pedro de Luna était ce qu’on appelle un cristiano viejo et descendait en droite ligne des premiers conquérants espagnols, sans que jamais une goutte de sang indien se fût mêlée dans les veines d’un de ses ancêtres.

Aussi, bien que depuis la déclaration de l’indépendance les vieilles coutumes commençassent à tomber en désuétude, don Pedro de Luna était fier