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LES CHASSEURS D’ABEILLES

Les Mexicains le suivirent.

La caverne était spacieuse et paraissait s’étendre sous l’eau à une grande distance.

Les chevaux furent parqués dans un compartiment éloigné, où on leur donna la provende.

— Ici, dit le chasseur, nous sommes en sûreté autant qu’il est possible de l’être au désert ; si rien ne vient nous troubler, nous y passerons la nuit afin de donner à nos chevaux le repos qui leur est indispensable ; vous pouvez allumer du feu sans crainte, les fissures qui vous donnent la clarté divisent la fumée et la rendent invisible ; bien que je croie avoir dépisté ceux qui se sont mis à notre poursuite, je vais cependant pousser une reconnaissance au dehors. Soyez sans inquiétude : de près ou de loin je veille sur vous ; dans une heure je reviendrai ; surtout ne vous montrez pas : dans les forêts vierges, on ne sait jamais par quels yeux on risque d’être vu. À bientôt.

Il sortit laissant ses compagnons en proie à une anxiété d’autant plus vive que, bien qu’ils devinassent qu’un grand danger les menaçait, ils ne pouvaient prévoir ni d’où ni de quelle façon ce danger fondrait sur eux, et qu’ils étaient complètement à la merci d’un homme dont il leur était impossible de découvrir le véritable caractère et les intentions positives.


VII

L’ESCARMOUCHE


Cependant la nature a des droits qu’elle n’abdique jamais : quelle que fût l’inquiétude des Mexicains, les fatigues qu’ils avaient endurées pendant cette longue journée leur faisaient sentir le besoin impérieux de reprendre des forces ; aussi, après quelques sombres réflexions sur la position critique et presque désespérée dans laquelle ils se trouvaient, don Pedro donna l’ordre aux peones d’allumer du feu et de préparer le repas du soir.

Il est à remarquer que les hommes dont la vie est plutôt physique que morale ne laissent jamais, quelle que soit la situation dans laquelle les place le hasard, de manger et de dormir ; l’appétit et le sommeil ne leur manquent jamais ; la raison en est simple : exposés à chaque minute à soutenir des luttes gigantesques soit contre les hommes, soit contre les éléments, il faut que leurs forces soient en rapport avec les efforts qu’ils auront à faire pour surmonter les obstacles qu’ils auront à vaincre ou les périls dont ils seront menacés.

Le repas fut triste et silencieux, chacun était trop vivement impressionné par l’approche de la nuit, moment que choisissent d’habitude les Peaux-Rouges pour attaquer leurs ennemis à la faveur des ténèbres, pour que les Mexicains songeassent à échanger entre eux quelques paroles.

L’absence du chasseur fut longue ; déjà depuis près de deux heures le