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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Nous nous séparons ici, dit le chasseur d’une voix ferme, avec un sentiment de tristesse qu’il ne parvint pas à dissimuler complètement.

— Déjà ! dit naïvement la jeune fille.

— Merci de ce regret que vous exprimez, señorita, mais il le faut, vous n’êtes plus qu’à quelques milles de votre hacienda ; la route vous est facile, mon secours vous devient inutile désormais.

— Nous ne nous séparerons pas ainsi, señor, fit l’haciendero en lui tendant la main, j’ai contracté envers vous des obligations.

— Oubliez-les, caballero, interrompit vivement le jeune homme, oubliez-moi, nous ne devons plus nous revoir ; vous retournez à la vie civilisée, moi je retourne au désert ; nos voies sont différentes ; pour vous et pour moi souhaitez que le hasard ne nous remette plus en présence. Seulement, ajouta-t-il en levant les yeux sur la jeune fille, j’emporte de vous un souvenir qui ne s’effacera jamais ! Maintenant, adieu ! Voici là-bas des vaqueros de votre hacienda qui s’avancent à votre rencontre ; vous êtes en sûreté.

Il s’inclina jusque sur le cou de son cheval, tourna bride et partit au galop.

Mais en relevant la tête il vit doña Hermosa qui galopait auprès de lui.

— Arrêtez, lui dit-elle.

Il obéit machinalement.

— Tenez, reprit-elle avec émotion en lui présentant un mince anneau d’or, voici ce que je possède de plus précieux ; cette bague a appartenu à ma mère, que je n’ai pas eu le bonheur de connaître ; conservez-la en souvenir de ; moi, señor.

Et, lui laissant l’anneau dans la main, la jeune fille partit sans lui donner le temps de répondre.


VIII

LE PUEBLO


Lorsque la domination espagnole fut assurée sans conteste dans le Nouveau-Monde, le gouvernement, dans le but de maintenir les Indiens, fonda de distance en distance, sur l’extrême limite de ses possessions, des postes auxquels il donna le nom de presidios, qu’il peupla des criminels de toutes sortes dont il jugea prudent de débarrasser la mère-patrie.

Le presidio de San-Lucar, sur le rio Vermejo, fut un des premiers établis.

À l’époque de la fondation du presidio de San-Lucar, ce poste consistait seulement en un fort bâti sur la rive nord, au sommet d’une falaise escarpée qui domine la rivière, les plaines du sud et la campagne environnante.

Sa forme est carrée, il est construit de murs épais, de pierres de taille, et flanqué de trois bastions, deux sur la rivière à l’est et à l’ouest, et le troisième sur la plaine.

L’intérieur renferme la chapelle, le presbytère et le magasin aux poudres ;