Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/306

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— Je l’ignore, madame la comtesse, mais je le sens ; voilà tout ce que je puis vous dire : les Indiens aussi le sentent ; leur instinct ne les trompe jamais, nous nous sommes retranchés ici dans une position que nous avons rendue inexpugnable.

— Comment cela ? Par cet immense abatis de bois ?

— Oui, madame la comtesse, par cet abatis, et en brûlant tout autour de nous. Regardez aussi loin que la vue s’étend : il ne reste pas un arbre, pas un brin d’herbe derrière lequel un Indien, ou un pirate trouve à s’abriter. Quel que soit l’ennemi qui essaiera de nous attaquer, nous l’apercevrons de loin, sans que lui nous voie. Grâce au couvert que nous avons construit ici, nous n’avons plus à redouter de surprise ; l’ennemi sera contraint de venir à découvert, et alors, s’il s’y hasarde, nous le recevrons bravement, et nous le rejetterons du haut des rampes dans la plaine. Ah ! dame ! ajouta-t-il en riant, quand on n’est pas le plus fort, il faut être le plus rusé, n’est-ce pas ? Et en fait de ruses, voyez-vous, madame la comtesse, les Indiens, surtout les Comanches, rendraient des points aux plus fins coureurs des bois de la prairie. Ce sont de rudes hommes, je vous en réponds.

— Oui, je comprends ; tout cela est bien imaginé. Quoi qu’il arrive maintenant, nous sommes en sûreté ?

— Absolument comme si nous nous trouvions à Québec, madame la comtesse.

— C’est vrai, mais pourquoi brûler toute cette immense savane et en faire ainsi un désert affreux, et sans verdure ? tous les animaux qui habitent et peuplent cette prairie mourront de faim.

— Que cela ne vous inquiète pas, madame la comtesse, dit-il en riant ; aux premières lueurs du feu, tous les animaux ont décampé au plus vite ; ils sont à l’abri depuis longtemps. Voyez, l’incendie s’éteint déjà là-bas.

— En effet, les lueurs diminuent rapidement ; mais voilà cette savane, si verte et si belle, il y a quelques heures, devenue stérile je ne sais pour combien d’années, grâce à vous.