Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/310

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Ils allaient, serrés les uns contre les autres, en aveugles, sans se détourner jamais.

Leurs meuglements incessants et le bruit de leurs sabots martelant le sol en cadence formaient un roulement sourd et continu, ressemblant aux roulements du tonnerre dans les mornes.

Sur leurs flancs on voyait bondir de grandes ombres.

C’étaient les jaguars qui chassaient.

Lorsqu’un des bisons tombait, les autres passaient par-dessus lui, sans se déranger.

Les cris aigus des coyotes et des loups rouges formaient un effroyable concert de glapissements.

Il y avait quelque chose d’étrange et d’effrayant dans la course affolée de cette masse mouvante, obéissant à un mystérieux instinct, et dont les longs anneaux se déroulaient et serpentaient à travers la savane, jusqu’à la dernière limite de l’horizon.

Depuis plus d’une heure, les bisons passaient ainsi, et leurs masses étaient toujours aussi profondes.

Où les premiers avaient passé, les autres passaient à leur tour sans dévier d’une ligne.

Tout disparaissait devant leurs puissants efforts, tout était brisé, pulvérisé, anéanti.

Tout à coup Dardar, embusqué à l’extrémité de l’accore, du côté de la rivière, se mit à aboyer avec fureur.

— À moi deux hommes ! cria Charbonneau, il doit y avoir quelque chose par ici ; et, s’adressant à la comtesse, rentrez sous votre tente, madame, lui dit-il, votre présence est inutile au milieu de nous, et si vous y restiez, vous seriez exposée à des dangers sérieux… d’ailleurs peut-être avant quelques minutes serons-nous attaqués.

— Ne vous raillez pas de moi, Charbonneau, répondit résolument la comtesse, chacun de nous a ses devoirs dans les circonstances où nous sommes ; laissez-moi faire le mien ; allez, je le veux !

Le Canadien hocha la tête d’un air mécontent.