Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/355

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dans notre pays de France. Les femmes, en se mariant, ne perdent pas leur nom ; elles le conservent, et, si cela leur plaît, le joignent à celui de leur mari et aux titres qu’il porte. Le mari pouvait donc se nommer José Moralès et la femme Luz Alacuesta.

— C’est juste. Allez ; j’écoute.

— Don José ne faisait que de courtes, et surtout de très rares apparitions à Santa-Fé. Il arrivait toujours la nuit, et lorsqu’il repartait, c’était avant le jour. Parfois même, il arrivait et repartait en passant par les jardins, de sorte que la plupart du temps on ignorait s’il était, ou n’était pas à Santa-Fé. Chaque fois qu’il venait, il était suivi d’une ou deux mules chargées. Souvent, pendant son absence, des arrieros arrivaient avec des mules, et tantôt ils demandaient le señor Moralès, tantôt le señor Munoz, enfin une infinité de noms plus baroques les uns que les autres, ce qui étonnait grandement les gens, et lorsqu’on les pressait de questions, ils répondaient par de grossières rebuffades, et finissaient par donner le nom de la señora. Celle-ci vivait fort retirée, elle était très pieuse et donnait beaucoup aux églises et aux couvents. Aussi ne manquait-elle pas d’amis dans le clergé, séculier ou autre, prêts à la défendre et à chanter ses louanges lorsqu’on attaquait son mari, que l’on s’étonnait de son existence mystérieuse et de ces grandes richesses que l’on voyait continuellement entrer dans cette maison sans les en voir jamais sortir. En somme, ce mari, que personne ne connaissait, dont nul ne se rappelait le visage et dont l’existence était si problématique, avait, grâce aux commérages de la ville, une exécrable réputation. On ne se gênait pas pour le traiter de scélérat et l’accuser d’être un chef de salteadores.

— Souvent, les commérages sont l’expression de la vérité, dit la comtesse.

— Rarement, madame, parce que la calomnie en fait toujours le fond ; mais je ne préjuge pas, je raconte.

— Et ce que vous dites est très intéressant, cher monsieur.