Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/397

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reste en ce moment que quinze hommes, que faire avec cela ?

— Pas grand’chose, c’est vrai ; mais on peut augmenter leur nombre. Il ne manque pas d’aventuriers dans la savane ; je me fais fort, si tu le veux, de te trouver en huit jours cinquante compagnons.

Le Mayor haussa les épaules.

— Des poltrons et des joueurs qui fuiront au premier coup de feu je n’en veux pas.

— Non, des hommes comme il t’en faut.

— Laissons cela, je te prie.

— Cependant, il y a à peine quelques jours, tu m’as dit toi-même : « Felitz, compte sur moi comme sur toi-même. Jamais je ne te manquerai. »

— C’est vrai, je t’ai dit cela, répondit le Mayor avec émotion, et je te le répète ; mais je ne me suis pas engagé à faire des choses impossibles… Tu te laisses aveugler par ta haine ; tu formes des projets insensés, dont tu ne calcules même pas les conséquences. Je ne puis, dans ton intérêt même, t’aider à les mettre à exécution.

— Tu es heureux de posséder cette puissance sur toi-même, qui te permet de calculer aussi froidement ; je ne l’ai pas, moi, je l’avoue. Ainsi, lorsque dans la Savane, le hasard ou plutôt ma bonne étoile me conduisit à l’endroit où dona Luz, gisant sous un monceau de feuilles, amassées par les mains pieuses de son enfant qui l’avait crue morte, commençait à s’éveiller de la longue attaque de catalepsie par laquelle elle avait été terrassée, je l’aidai à se mettre sur son séant ; je lui présentai ma gourde, et lui fis boire la vie, grâce à quelques gouttes d’eau fraîche. Tout à coup survint un jaguar, une magnifique bête, qui se rasa à quelques pas de moi, prêt à s’élancer sur cette femme, la seule que tu aies jamais aimée, et que tu aimes encore. Je ne réfléchis pas que, ainsi que tu me le disais tout à l’heure, j’étais éclopé, presque un impotent et réduit à un triste état. Je me jetai résolument devant la pauvre femme évanouie de