Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/447

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qu’il n’a pas craint de poser sur son front, et en volant le trône sur lequel il s’est assis par la terreur, malgré toutes les lois divines et humaines : il faut que je sois contraint, moi innocent, dont il a brisé l’avenir ; moi, innocent qu’il a condamné à une vie de misère et de douleur, qui depuis quatorze ans mène une existence de paria au milieu des déserts américains, par le fait des lâches sicaires de cet homme ; il faut que moi, citoyen, honnête homme dont la conscience est pure de toute action blâmable ; il faut, dis-je, que moi, la victime, et lui le bourreau, je m’incline devant lui, et je reconnaisse qu’il a eu le droit de me martyriser, puisqu’il me fait grâce, et d’accepter cette grâce avec reconnaissance… Oh ! fit-il avec un sanglot qui déchira sa poitrine, c’est aussi trop exiger de moi, mon père ! car c’est plus que la vie, c’est le déshonneur qui m’est imposé !…

Et, cachant sa tête dans ses mains, il fondit en larmes.

Tous les assistants étaient atterrés.

— Julian, au nom du ciel ! s’écria le docteur, vois Denizà, aie pitié d’elle !

Tous les regards se tournèrent alors vers la jeune femme.

Mais Denizà, pâle, mais souriante, et les yeux brillants d’un généreux enthousiasme, se leva de son siège, s’approcha d’un pas lent, et pour ainsi dire automatique, du fier jeune homme, et lui posant doucement la main sur l’épaule, elle lui dit de sa voix harmonieuse, brisée par une émotion intérieure, mais vibrante :

— Bien, Julian ! bien, mon fiancé !… Je te loue et je suis heureuse de cette généreuse indignation contre ce tigre à face humaine, cet assassin de femmes et d’enfants, dont le trône est fait de cadavres et cimenté du sang de ses victimes. Je suis fière de toi, et mon amour grandirait encore si cela était possible. Pas de grâce, pas de honteuses transactions avec notre bourreau… Je serai la femme du transporté, du paria, du proscrit ; mais ton honneur, qui est le mien, restera intact. Dans ce désert où