Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/60

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minutes au plus, pour un trotteur comme celui du docteur.

On arriverait donc au port vers dix heures et demie au plus tard.

La ville de Saint-Jean-de-Luz, complètement minée par la mer et dont le port s’engrave chaque jour davantage et finira par disparaître, a vu son commerce, jadis si florissant, décroître et s’annihiler de plus en plus.

Aujourd’hui Saint-Jean-de-Luz est pour ainsi dire une ville morte, surtout pendant la froide et rude saison d’hiver ; à dix heures du soir tout le monde est rentré chez soi, les lumières s’éteignent et les rues deviennent désertes ; le docteur n’avait donc à redouter ni fâcheuses rencontres ni regards curieux.

D’ailleurs, lui et son cabriolet étaient connus de chacun, grands ou petits ; sa qualité de médecin l’autorisait à voyager à toute heure de nuit et de jour, sans que nul s’en préoccupât.

Nous profiterons du silence gardé par les deux voyageurs pour faire connaître complètement au lecteur le docteur d’Hirigoyen, dont nous n’avons encore dit que quelques mots rapides et insignifiants.

Ce médecin, que nous voyons retiré comme un rat dans un fromage de Hollande, au fond d’une bourgade perdue du pays basque, était loin d’être ce qu’il paraissait.

C’était une haute personnalité, un homme d’une science profonde, un esprit élevé, un cœur d’élite, dont la position avait été grande et le rôle important.

Les services qu’il avait rendus à son pays étaient immenses ; il avait brillamment débuté en 1832, à Paris, lors de l’invasion du choléra ; il avait alors vingt-sept ans.

Son dévouement à toute épreuve, les moyens de médication, découverts par lui, moyens efficaces, qui avaient vaincu l’épidémie et sauvé presque tous les malades du jeune docteur, avaient attiré sur lui l’attention des hauts bonnets de la Faculté ; ils adoptèrent ses innovations et lui adressèrent de chaleureux éloges ; le gouvernement le fit chevalier de la Légion d’honneur et lui donna une chaire vacante à l’Académie de médecine.