Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/97

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dont ils faisaient, de ci, de là, jaillir des étincelles.

Maintenant, le sort en était jeté ; tout lien était rompu entre elle et le passé ; la marquise le comprenait, elle ne songeait plus qu’à l’avenir. D’ailleurs, son parti était définitivement pris. Après quelques instants, emportée par ces élans de jeunesse qu’elle ne pouvait comprimer, elle se laissa entraîner dans le doux pays des rêves ; bientôt il lui sembla qu’un abîme infranchissable était creusé entre le passé et le présent. Elle se surprit même à fredonner entre ses dents un refrain d’opéra, avec cette insouciance de ses vingt ans, âge heureux où les plus poignantes douleurs glissent sur l’âme, qu’elles froissent pendant un temps plus ou moins court, mais sur laquelle elles ne laissent pas d’empreintes réelles.

D’ailleurs, la marquise était riche, très riche même, libre comme l’air qu’elle respirait, après avoir été pendant si longtemps cruellement esclave. Tout était sourire en avant, tout était pleurs en arrière.

Elle poussait gaiement en avant, et pour la première fois peut-être, depuis son mariage, elle se trouvait heureuse !

Il n’était pas encore neuf heures. Parfois notre cavalière croisait un routier, ou un paysan regagnant son chaume, après la journée faite, et qui lui criait au passage le salut basque :

Gaû hon, Jaunà ! — Bonne nuit, monsieur !

Elle répondait gaiement en grossissant sa voix si harmonieusement timbrée :

Gaû hon, milesker ! — Bonne nuit, merci.

Et elle passait en caressant et flattant de sa douce main l’encolure de son cheval, qui se redressait joyeusement tout en pressant le pas.

Bientôt la marquise vit briller devant elle les lumières des maisons de Bayonne, Bayonne la pucelle, comme elle se nomme orgueilleusement et avec raison. En effet, depuis que Charles VII l’enleva aux Anglais, elle a été quatorze fois assiégée sans jamais être prise ; peu de places fortes peuvent en dire autant.