Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris II.djvu/207

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matin. Tout naturellement, la conversation était très animée, et l’on ne parlait que des événements de la nuit. Un vaquero, entre autres, qui se trouvait dans le parc et avait assisté à la bataille qui s’était livrée sur ce point, racontait les diverses péripéties de cette lutte de géants. Cela m’intéressait. Je me rapprochai afin de mieux entendre. J’allais porter mon verre a mes lèvres, lorsque cet homme s’avisa de dire d’une voix goguenarde : « Cette fois, c’est bien fini ; nous sommes définitivement délivrés de ce brigand de Mayor. Il a été tué. On dit que son corps a été retrouvé troué comme une écumoire. Je ne l’ai pas vu ; je le regrette ; mais ce qui est certain, c’est que nous en sommes débarrassés ! »

— Ah ! fit Julian, cet homme disait cela ?

— Oui, monsieur. Mais, précisément au moment où il prononçait ces paroles, je sentis subitement mon cœur se serrer et une angoisse terrible s’emparer de moi : mes forces m’abandonnèrent, le gobelet échappa de ma main, tout sembla tourner autour de moi, et pendant quelques instants je crois que je perdis connaissance. Lorsque je revins à moi, les vaqueros et le pulquero lui-même me prodiguaient des soins, ne comprenant rien à cette singulière syncope. Je remerciai ces braves gens ; je feignis de rire, mais c’en était fait de ma gaieté. Je bus un gobelet de jalapé, et je me hâtai de sortir, espérant que le grand air me remettrait ; mais ce fut en vain : j’ai toujours le cœur serré, et je suis en proie à une inquiétude extrême.

— Et que concluez-vous de cela, monsieur ? demanda Julian devenu sérieux peut-être malgré lui, et subissant, à son insu, l’effet de ce récit étrange, surtout par sa simplicité.

— Dois-je vous le dire, monsieur ?

— Puisque vous avez commencé, je crois que mieux vaut achever.

— Soit, mais vous rirez de moi ?

— Pas le moins du monde, je vous le promets !

— Donc, monsieur, je vous le répète, mes pressentiments ne m’ont jamais trompé. Eh bien, quoi que l’on