Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris II.djvu/271

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d’eau-de-vie en sirotant, avec un visible plaisir, son affreux breuvage ; c’est un mot d’ordre ; ils se connaissent. Ce particulier-là me fait l’effet d’avoir rincé quelque chouette cambriole ; la Marlouze est trop aimable pour lui ; c’est pas naturel : faut voir ça !

Et comme la mesure d’eau-de-vie était vide, il en demanda une seconde, que la servante lui apporta d’un air rechigné, en se faisant payer d’avance.

La Marlouze était le nom de guerre de la maîtresse de l’établissement.

Sa conduite, en cette circonstance, devait sembler à ses habitués d’autant plus extraordinaire, que loin d’être renommée pour l’aménité de ses manières, elle jouissait, au contraire, et cela avec raison, d’une réputation de brutalité solidement établie.

Il est singulier que tous les bouges fréquentés par des repris de justice soient généralement tenus par des femmes, et que ces femmes sachent si bien s’imposer à ces misérables, qu’elles les mènent tous tambour battant, sans que jamais ils osent regimber, ni même se plaindre.

Le buveur d’eau-de-vie était à peu près vêtu de la même façon que notre premier personnage ; il avait les mêmes allures, les mêmes accroche-cœur colles aux tempes, la même voix enrouée et le même accent traînard.

Seulement il paraissait plus âgé de quatre à cinq ans, il portait une épaisse moustache noire et une longue impériale ; les moustaches étaient cirées et outrageusement relevées en pointe vers les yeux.

Lorsque la servante lui servit la nouvelle mesure d’eau-de-vie, tout en payant par anticipation, il lui dit d’un air aimable :

— Joglotte, ma belle, mettez un autre verre ; monsieur me fera l’honneur d’accepter un glacis d’eau-d’ff en guise de perroquet, en attendant son boulotage ?

— Ce n’est pas de refus, répondit l’autre en saluant poliment.

— À votre santé ! dit-il.