Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris II.djvu/367

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une fausse barbe et des lunettes suffirent pour me rendre méconnaissable. Ces précautions prises, je me suis mis en embuscade à l’entrée du bois, mais sans succès. Le bois de Boulogne a plusieurs entrées ; le Mayor, sans doute, entrait tantôt par l’une, tantôt par une autre, et cela sans que je le visse. Fatigué de l’attendre ainsi en vain, hier j’eus la pensée de m’embusquer aux environs du lac ; mon inspiration était bonne. Bientôt je l’aperçus ; j’étais trop loin pour entendre et même pour bien distinguer ce qui se passait. Le Mayor semblait avoir une sérieuse altercation avec un jeune homme qui accompagnait une dame ; j’attendis, Tout à coup, je ne sais à quel propos, le Mayor partit comme un trait. Sa course ressemblait fort a une fuite ; il passa ventre à terre à moins de cinq pas de moi. J’employai alors cette vieille ruse, qui pourtant réussit presque toujours, de lui cracher à l’improviste son nom au visage. Elle réussit ; machinalement, sans probablement s’en rendre compte lui-même, il tourna la tête de mon côté : pour un instant nous fûmes face à face. Je le reconnus, le doute n’était plus possible : c’était bien lui ; seulement il est très changé ; il a beaucoup vieilli, et a sur le visage une énorme balafre que je ne lui connaissais pas ; mais il est une chose qui ne saurait changer en lui : c’est l’expression si glauque et si morne de son regard effrayant.

» La rapidité de la course avait fait tomber son binocle. Je le reconnus à ses yeux, si reconnaissables pour qui les a vus une fois. Chose étrange ! un seul homme, que je sache, possède un regard semblable : c’est l’empereur Napoléon III. Après cela, me direz-vous, ajouta-t-il en riant, les deux font la paire ; ils se ressemblent sur tant de points, qu’il n’y a rien d’étonnant qu’ils aient encore cela de commun entre eux. Bref, pour en finir, voilà comment je suis en mesure de vous affirmer que le Mayor habite Paris.

— Je vous remercie, monsieur, de m’avoir donné ces détails, qui détruisent tous les doutes que j’avais à cet égard. Vous souvenez-vous du rendez-vous que vous