Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris II.djvu/43

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moi, nous étions allés chez un colon, dont la concession n’était qu’à deux lieues du camp ; ce colon était Provençal. Depuis longtemps il nous avait promis de nous faire manger une bouillabaisse, cette soupe si chère à tous les Marseillais ; nous en étions tous très friands, et ce fut un véritable régal pour nous. La soirée s’écoula à jouer et surtout a boire, car la bouillabaisse et l’ayoli sont très épicés et excitent à de copieuses libations. Nous ne nous en fîmes pas faute. Vers une heure du matin, nous regagnions le camp ayant chacun une fort jolie pointe d’ivresse, lorsque, à l’embranchement de deux routes, à une portée de fusil de notre campement, deux cavaliers, galopant à bride avalée, passèrent devant nous comme une trombe et disparurent dans la nuit. Si rapidement qu’ils passèrent, je ne sais pourquoi il me sembla reconnaître le colonel, et surtout son matelot Sebastian. Cependant, comme je pouvais m’être trompé, je gardai pour moi mes soupçons ; dix minutes après, nous arrivâmes au camp. Il était en rumeur : tout le monde était debout ; la consternation était peinte sur tous les visages. J’appris presque aussitôt que le colonel s’était, une demi-heure auparavant, brûlé la cervelle. Cette nouvelle m’atterra ; ce n’était donc pas lui que j’avais croisé sur la route ! Je me retirai sous ma tente. Mon ivresse avait subitement disparu. Je passai toute la nuit sans fermer l’œil une seconde, me répétant sans cesse : Cependant je l’ai bien reconnu ! Un peu après le lever du soleil, plusieurs individus à mine suspecte, arrivèrent au camp. Un de ces hommes fit appeler le lieutenant-colonel, et il lui dit qu’il était porteur d’un mandat d’amener contre le colonel marquis de Garmandia, accusé d’avoir, sept semaines auparavant, assassiné sa femme en l’enterrant vive, après l’avoir obligée à boire un narcotique. Tout le monde fut saisi en entendant articuler une aussi odieuse accusation contre le colonel, si aimé à juste titre au régiment. Le lieutenant-colonel répondit que le colonel, coupable ou non, s’était fait justice en se brûlant la cervelle ; et il conduisit l’agent de police à la tente du colonel, gardée