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LES RODEURS DE FRONTIÈRES

maîtriser par aucun sentiment humain ; son visage fut de marbre pour la joie comme pour la douleur ; l’enthousiasme de ses compagnons ne pouvait, en certaines circonstances, faire passer sur ses traits ni flamme ni sourire.

Le Jaguar n’était pas un ambitieux vulgaire ; il souffrait du désaccord des insurgés entre eux ; il appelait de tous ses vœux une fusion devenue indispensable et travaillait de tout son pouvoir à l’opérer ; en un mot, le jeune homme avait la foi ! Il croyait ; car malgré les fautes sans nombre commises depuis le commencement de l’insurrection par les Texiens, il avait reconnu tant de vitalité dans cette œuvre de liberté si mal conduite jusqu’alors, qu’il avait fini par comprendre que dans toute question humaine il y a quelque chose de plus puissant que la force, que le courage, que le génie même, et que ce quelque chose c’est l’idée dont le temps est venu, dont l’heure a sonné à l’horloge de Dieu. Alors, oubliant toute préoccupation, il espéra en un avenir certain.

Pour neutraliser autant que possible l’isolement dans lequel sa troupe était laissée, le Jaguar avait inauguré une tactique qui lui avait réussi jusqu’alors. Ce qu’il fallait, c’était gagner du temps et perpétuer la guerre, bien qu’en soutenant une lutte inégale. Pour cela il fallait envelopper sa faiblesse de mystère, se montrer partout, ne s’arrêter nulle part, enfermer l’ennemi dans un réseau d’adversaires invisibles, le contraindre à se tenir la baïonnette croisée dans le vide, les yeux vainement fixés sur tous les points de l’horizon, sans cesse harcelé sans jamais être réellement et sérieusement attaqué par des forces