Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/11

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t’en avertis, toutes relations cesseront entre nous. Je ne te considérerai ni plus ni moins que mes autres… subordonnés.

— Oh ! mon… mon capitaine !

— Ne m’appelle pas capitaine… Ici, je ne suis que Passe-Partout, ton camarade.

— Oh ! mon cap…

— Encore !

— Je ne peux pourtant pas vous laisser risquer votre peau à tout bout de champ, sans m’en mêler, grommela-t-il comme un dogue qui se révolte.

— Quel danger courais-je, imbécile ?

— Suffit, dit l’autre d’un air satisfait, vous m’appelez…

— Tu.

— Comment ! Tu ?

— Tutoie-moi.

— Je n’oserai jamais.

— Il le faut.

— Mais…

— Je le veux ! s’écria l’ouvrier avec impatience.

— Bon !… Tu… tu… tu… m’as appelé imbécile, donc tu ne m’en veux plus, mon bon Passe-Partout.

— À la bonne heure !

— Après ça, vous… tu… vous avez bien le droit de faire ce qui vous convient… Ah ! foi d’homme, tant pis ! je peux bien vous traiter de « mon capitaine », mais je ne pourrai jamais vous tutoyer comme un va-nu-pieds.

— Au diable ! fit Passe-Partout, parle-moi comme tu l’entendras, mais n’oublie jamais que je ne suis qu’un ouvrier comme toi, ton camarade d’atelier, ton inséparable.

— Vous voyez bien que je ne peux pas me séparer de vous. C’est vous qui venez de le dire ;

— Soit.

— J’ai donc bien fait de venir.

— Sans et contre mon ordre ? répondit sévèrement Passe-Partout.

— Dame ! oui, qu’il me semble, murmura la Cigale en baissant les yeux sous le clair regard de son interlocuteur.

— Même si je te jure que je ne te pardonnerai pas ta première désobéissance, ta prochaine indiscrétion.

— Il n’y a pas de dé… dé… désobéissance quand l’intention d’obéir y est. Il ne peut pas non plus… plus y avoir d’indiscrétion… Je suis muet comme une baleine quand il s’agit de… de… de…

Et le géant se sentit tellement ému que la fin de sa phrase ne put jamais sortir.

— Allons, allons, mulet, n’en fais qu’à ta guise, reprit Passe-Partout en se laissant toucher malgré lui par cet accent vrai. Sois prudent, seulement. Un de ces jours, tu me compromettras sans t’en douter.

— Ce jour-là, faites-moi sauter le crâne, je ne recommencerai plus.

— Ta main !