Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/120

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— Je ne mens jamais.

— Dis-moi le nom de ton curieux et je te colle le nom et l’adresse de mon noyé.

— Tu la sais donc ?

— Je la trouverai.

— Mon petit Moumouche, dit le géant d’un ton caressant.

— Mon vieux Gagale, répondit le voyou d’une voix pleine de chatteries et de traînaillements.

— T’a-t-on payé pour te taire ?

— T’a-t-on payé pour me questionner ?

— Ah ! t’es vicieux pour ton âge.

— T’es bien innocent pour le tien.

— Enfin… voyons… il n’y a pas moyen de savoir… On t’a recommandé le silence sous peine de la vie ?

— J’obéis jamais à la menace. Si on m’avait menacé, il y a plus d’une heure que t’en saurais autant que moi.

— On t’a donc supplié ?

— Ah ! zut ! à la fin… Personne ne m’a rien recommandé, personne ne s’est mis à mes genoux ; une fois ma récompense touchée, on m’a planté là comme un caillou, ce qui m’a humilié et…

— Et…

— Et, ajouta Mouchette, ça m’a fait les suivre sans qu’ils se doutent le moins du monde que je les suivais.

— Ah ! tu les as suivis ! tu vois.

— Pardine ! puisque je te le dis… Mais c’est tout ce que je te dirai.

— Allons, il faut en prendre son parti… fit la Cigale, qui soupira, tout en pensant à part lui : — Petit mâtin, je te ferai parler avant vingt-quatre heures.

— La séance est levée, hein ! mon président ?

— Il le faut bien. J’entends la Pacline.

— Oui, fit Mouchette en se précipitant, c’est elle qui se casse le cou dans l’escayer… Puis, s’arrêtant sur le seuil : T’as quelque chose à lui demander ?

— Qu’est-ce que ça te fait ? répondit la Cigale, tu refuses de t’épancher dans le sein d’un ami, je n’ai pas besoin de te raconter mes affaires.

— Fameux ! la Cigale qui fait son nez !

— Je ne fais pas mon nez, mais je suis vexé, dit le géant avec bonhomie.

— C’est tout de même.

— Non ; à preuve que je ne t’en veux pas, je vas te donner…

— Quoi ? fit le gamin, qui tendit la main.

— Un bon conseil.

— Ah ! répondit Mouchette, qui retira sa main, je tiens de cette marchandise-là aussi. Elle n’est pas chère.

— Méfie-toi de Coquillard, c’est une mauvaise pratique.

— Ce n’est pas lui qui me fera danser sans violon, et ce n’est pas à moi qu’il doit en vouloir le plus.

— Oh ! moi, je le crains peu ! répliqua le colosse en riant de son rire tranquille.