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— Ni moi non plus, dit Mouchette. Merci tout de même, mon Cigale ; t’es un bon zigue et je te pardonne ta curiosité.

— V’là maman Pacline, fit la Cigale ; plus un mot là-dessus.

La porte s’ouvrit.

La Pacline entra.


X

LA RÉVEILLEUSE

Marie-Étiennette Brizard, fille du feu Antoine Brizard, ex-sergent aux grenadiers de la garde impériale, et de Jacqueline Malassis, son épouse légitime, marchande de marée, avait, dans son temps, passé pour une des plus jolies filles du carreau des Halles.

Mariée toute jeune à un homme qu’elle adorait et dont elle était adorée, elle resta veuve et mère d’une petite fille, après trois ans de ménage et de bonheur.

Son mari, Pierre Paclin, exerçait le dangereux état de couvreur.

Un jour qu’il remplissait sa terrible tâche avec l’insouciance ordinaire aux ouvriers de sa classe, le rire aux lèvres et le souvenir de sa femme ou de sa fille dans la tête, un tuyau se défonça sous ses pieds.

Il tomba du haut d’un toit et se tua raide.

Une heure après, on rapportait à la pauvre femme le corps de son mari, sanglant, mutilé, inanimé.

Marie-Étiennette manqua devenir folle de douleur.

Sa douleur ne trouva pas de larmes.

Elle avait à peine vingt ans ; un instant l’idée du suicide lui traversa le cerveau, mais un cri de sa fille la rappela à la raison.

Elle était mère ; elle vécut.

Seulement la veuve Pacline — on l’appelait ainsi aux Halles — renonçant, à partir de ce jour, à tous les plaisirs, à toutes les distractions de son âge, ne s’occupa plus que de son enfant, le seul but utile de sa vie solitaire.

Toutes ses affections s’étaient reportées sur la tête chérie de sa petite Marguerite.

Aussi bien était-il impossible de rien voir de plus séduisant que cette enfant-là.

Agé de deux ans, ce chérubin blond et rose, aux grands yeux bleus reflétant l’azur du ciel, avait déjà un air grave et plein de rêverie qui faisait dire à mesdames les maraîchères :

— La petiote connaît son malheur et celui de sa pauvre mère.

Puis, de temps à autre, tout en faisant sauter entre leurs bras robustes la frêle et mignonne créature qui semblait regretter ses ailes d’ange, elles ajoutaient :