Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/128

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— Comment t’appelle-t-on, petiot ?

— J’ sais pas.

— Connais-tu tes parents ?

— Pourquoi faire ?

— Où demeures-tu ?

— À Paris, sur un tas de légumes et de pommes pourries.

— D’où viens-tu ?

— De la campagne. On m’y a battu. J’en ai eu assez.

— Qui t’a battu. ? ton père ?

— Qui ça, mon père ? Je gardais les oies… C’est le maître aux oies qui m’a battu.

— Veux-tu que je te reconduise chez lui ?

— Non ! cria l’enfant, lâchez-moi. Je me suis ensauvé, c’est pas pour retourner chercher des coups. Lâchez-moi, la vieille, que je vous dis… D’abord, je vous dirai pas où c’est.

Et il essayait de se sauver.

Mais la Pacline le retint d’une main ferme.

— Viens avec moi, lui dit-elle, tu vivras avec moi. Je t’habillerai et je te nourrirai.

— Je ne garderai plus les oies ?

— Non, dit la Pacline en souriant.

— Je ne travaillerai pas à la basse-cour ?

— Non plus.

— Tu m’aimeras bien ?

— À preuve, voilà ! s’écria-t-elle en le faisant sauter jusqu’à ses lèvres et en le couvrant de baisers.

Pour la première fois, l’enfant la regarda avec un semblant de tendresse. Il lui rendit ses baisers.

Tout était précoce en lui.

Là où il n’aurait dû y avoir qu’une sensation de stupeur, il y eut un sentiment d’affection presque filial.

Le commerce des oies avait fortement développé cette intelligence enfantine.

On ne devient pas si vite reconnaissant quand on n’a eu affaire qu’à des hommes.

Cinq minutes après, la Réveilleuse et sa trouvaille sans nom, l’une suivant l’autre, arrivaient rue de la Calandre, grimpaient cinq étages et s’endormaient tous deux d’un sommeil aussi profond que celui dont jouissait l’enfant tout seul sur son tas d’immondices.

Personne ne connaissait l’enfant, personne ne le réclama.

Du reste, si l’on s’amusait à réclamer tous les petits êtres abandonnés sur le pavé de Paris, on aurait fort à faire.

La Réveilleuse adopta celui-ci.

S’il ne remplaça pas la fille qu’elle avait perdue, il donna du moins un aliment à cet insatiable besoin d’aimer qui dévorait la pauvre femme isolée. Il lui constitua une famille nouvelle.