Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Merci. Voyons la lettre.

— La voici, dit le géant ; et il tira d’une de ses poches de côté un pli cacheté qu’il lui tendit.

— Qu’y a-t-il là-dedans, mon vieux ? Vous en doutez-vous ? demanda la Pacline en cherchant à lire jusqu’au fond du cœur de son interlocuteur.

— Non, répondit celui-ci sans broncher sous ce regard de feu.

— Vous ignorez donc tout, vous ?

— Oui, et je saurais quelque chose…

— Que ce serait absolument tout de même, continua-t-elle.

— Vous l’avez dit.

— À la bonne heure. C’est franc, ça. Et on n’a pas besoin de chercher midi à quatorze heures avec vous.

Elle prit la lettre et l’ouvrit. Elle la lut.

Pendant que la Pacline lisait, le messager des Invisibles ne se permit ni de bouger ni de parler.

La lecture dura longtemps.

La Pacline cherchait à bien graver dans sa mémoire le texte de cette missive. À trois reprises différentes, elle recommença.

Puis elle replia le papier et le rendit à la Cigale.

— C’est fait, lui dit-elle.

— Vous êtes sûre de ne rien oublier ? répliqua l’autre.

— Pas une ligne, pas un mot.

— Alors, venez.

— Où ?

— Dans l’autre chambre.

— Pour quoi faire ?

— Pour brûler ce papier.

— Si vous le gardiez, ce papier ! fit la Réveilleuse, sans avoir l’air d’attacher la moindre importance à son insinuation.

— Hein ? vous dites ? gronda le géant stupéfait.

Et il y avait une telle indignation dans ces trois mots, que la Pacline ne crut pas devoir pousser son épreuve plus loin.

— Vous êtes un brave cœur et un rude gars, Cigale.

— Je… je… je n’aime pas ces f… f… farces-là, répondit celui-ci qui, selon son habitude, se mettait à bégayer pour peu qu’une émotion quelconque le saisît à la gorge.

— J’ai mes ordres, fit la Réveilleuse.

— Ah ! c’est la consigne… Je me plaindrai au chef de son manque de confiance en moi.

— N’en faites rien, cela vaudra mieux, et suivez-moi.

Ils rentrèrent dans la première pièce, où le poêle chauffait et brûlait de plus belle.

La Pacline ôta la marmite du feu et le géant jeta la lettre dans les flammes.

En moins d’un instant, ce sujet de bisbille fut réduit en cendres.

— Voilà ! dit-il.