Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/137

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C’te fois, c’est moi qui régale !
Gale ! gale ! gale !
Via d’l’eau d’aff. Piquons-lui le nez,
Nénez ! nénez ! nénez !

La Pacline retira la targette qui fermait la porte.

Presque aussitôt le gamin bondit, plutôt qu’il n’entra dans la chambre. Il tenait deux bouteilles.

— Le liquide demandé ! Un litre à seize ! Voilà ! servez chaud ! Boum ! fit-il en posant un litre de vin sur la table. — Et une demi-bouteille de fine champagne extra… Ne criez pas, m’man. C’est moi qui paye. — Boum ! répéta-t-il en imitant la voix et le ton d’un garçon de café à la mode.

— Tu payes, petit ? avec quoi ? demanda la Pacline étonnée.

— Ne vous inquiétez pas. J’ai dévalisé une diligence de rivière. Versez d’abord. Nous compterons ensuite.

La Pacline remplit les verres.

On trinqua et l’on but.

— Assez pour le moment, fit le colosse arrêtant la main du voyou, qui voulait recommencer.

— Nous renâclons devant la boisson à l’œil ? fit le gamin en riant. Mâtin ! vous causiez donc politique ?

— Nous t’attendons depuis une demi-heure, répondit la Cigale, pour rompre les chiens.

— Le plus souvent ! On veut donc me monter le coup ! Ah ! c’est pas gentil ! riposta le gamin avec son ricanement habituel. Vous n’en voulez plus, m’man ?

— Non, dit la Réveilleuse, qui fit bonne contenance devant la Cigale, tout en poussant un gémissement de regret et de convoitise.

— Ô vertu ! s’écria Mouchette.

— Viens-tu voir les masques, petit ?

— Je veux bien. C’est-y vous qui régale ?

— Oui, mais tout de suite.

— Fallait donc le dire ! Tout à l’heure on me renvoie, maintenant on m’emmène. Ce serait facile de ne pas jouer au petit père La Franchise avec son Fifi, son Nini, son Moumou.

— Il n’y a pas à dire ! quoi ! murmura le géant, il est plus malin qu’un homme des bois.

— Voyez-vous ça ! fit le gamin ; on finit par reconnaître le vrai mérite. Attends, Goliath. Je t’accompagne, mais j’ai un bout de conversation à tenir à la mère.

Et il sortit tout son argent de sa large et longue poche, qui lui commençait à la taille et finissait à peine à la hauteur de son genou.

— Tenez, la mère, serrez ça dans votre profonde…

— Qu’est-ce que c’est que tout cet argent-là ? fit la Pacline.

— C’est de quoi vous acheter du nanan pendant la semaine prochaine. Je ne garde que deux roues de derrière pour faire le fadard et pour m’acheter un philosophe… J’en ai un qui ne tient plus qu’à moitié.