Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/161

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— Animal !… n’est-ce pas assez de l’avertissement que je t’ai donné tout à l’heure pour t’empêcher d’être toujours aussi bêtement respectueux avec moi, devant témoin ?

— Oui, mon vieux Pa… Passe-Partout.

— Qu’as-tu fait cette nuit ? Allons, réponds et ne bégaie pas… Je n’ai pas de temps à perdre.

— Cette nuit… répondit le colosse, s’efforçant de rattraper sa langue pour obéir ; cette nuit, je suis allé à l’Opéra, de là à Beaujon. J’ai vu tomber l’homme, je l’ai vu jeter à la Seine, je l’ai vu repêcher.

Telle était la crainte ou le désir de contenter son chef, éprouvés par ce pauvre la Cigale, qu’il prononça cette phrase toute d’une haleine, sans seulement prendre le temps de respirer.

— Tu as vu tout cela… toi-même ?

— Moi-même.

— Qui l’a retiré de l’eau ?

— Plusieurs individus, des charrieurs de bois, des débardeurs.

— En connais-tu un ?

— Non.

— Ah ! c’est fâcheux.

— Seulement, parmi eux, se trouvait un gamin.

— Eh bien ! s’écria Passe-Partout, qui se contint pour ne pas donner signe d’impatience.

— Un voyou de ma connaissance.

— Son nom ?

— Mouchette.

— Le fils de la Pacline ?

— Son fils… ou à peu près, répondit la Cigale, après réflexion.

— Bien ! murmura Passe-Partout avec un sourire étrange. L’homme était-il mort ?

— Je ne sais pas, cap… mon vieux !

— Mordieu ! il fallait savoir cela.

— Je le saurai, dit le géant en baissant les yeux comme une fille grondée par sa gouvernante.

— Où l’a-t-on transporté ?

— On lui a donné des soins sur place.

— Et après ?

— Après ?… je me suis vu forcé de filer mon nœud.

— On t’avait éventé ?

— Ma foi, oui ; vous l’avez deviné… fit la Cigale, tout joyeux… Sans ça…

— Quand auras-tu des renseignements précis ?

— En sortant d’ici.

— En me quittant ?

— Oui.

— Où cela ?

— Chez la Pacline, donc ! et par le moutard.

— C’est juste, dit Passe-Partout. Écoute-moi.