Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/18

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— Dites : mademoiselle Thérèse ! fit Olivier impatienté.

— Oh ! je veux bien… Avec ça que la petite mam’zelle Thérèse ne savait pas plus ce qu’elle voulait que la chatte d’en face. D’abord c’était oui… ensuite, non… Il a fallu voir quand je lui ai apporté les frusques, et qu’elle a dû entrer dans ce beau domino farci de dentelles noires… Ah ! ouiche ! saint bon Dieu ! un vrai déluge de Niagara ! quoi ! J’en ai mouillé deux mouchoirs… mais je ne vous les compterai pas… C’est réglé, c’est payé… le blanchissage compris…

— Avez-vous fini ?

— Faut bien que je vous dise, pour que vous sachiez sur quel pied danser avec elle… Ne la brusquez pas, hein ! Foi de vraie femme… c’est innocent comme la brebis qui vient de naître… Parole d’honneur ! c’est bien la première fois que ça se voit chez moi…

— Taisez-vous donc, ou tout au moins parlez plus bas.

— Oh ! il n’y a pas de danger…

— Maudite bavarde !

— Enfin, suffit. Elle ne connaît que cette entrée-là… et, vous le voyez, maison honnête, mon enseigne le dit assez : Rose Machuré, revendeuse à la toilette, fait dans le neuf et dans le vieux, achète les reconnaissances du Mont-de-Piété et

— Au diable ! Voulez-vous monter chez elle, ou je monterai, moi !

— Faut que je vous dise… Après avoir pleuré comme une Madeleine, sans raison pour ça, ma foi ! la pet… non, mam’zelle Thérèse s’est décidée. Domino, masque et gants noirs… gants noirs, remarquez, on sait son monde ! Si ça avait été une baladeuse de la Chaumière, je lui aurais collé des gants blancs nettoyés… mais…

— Allez toujours, dit Olivier, qui rongeait son frein, mais qui, réflexion faite, voulut entendre jusqu’au bout le verbiage de Mme Rose Machuré.

— Oh ! ce ne sera pas long. J’ai mes affaires aussi, moi ; tout le monde les a… Enfin, quoi !… elle est prête et mise comme une princesse en goguettes. Ça m’a donné un mal !… mais ça y est. Vous pouvez vous flatter d’avoir la main heureuse, m’sieu Olivier ! Il n’y a pas moyen de trouver plus sage et plus rangé. Vous me recommanderez à vos amis et connaissances, pas vrai ?

— Avez-vous tout dit ?

— Pour ce qui regarde mam’zelle Thérèse ? à peu près… mais pour vous, m’sieu Olivier, si j’ai un conseil à vous donner…

— Mère Machuré, gardez vos conseils et retenez bien ceci : Mlle Thérèse est une jeune fille pour laquelle je professe le plus grand respect.

— Du respect !… au bal de l’Opéra ! ricana la vieille.

— Si je l’ai amenée dans votre immonde taudis…

— Allez toujours… c’est réglé, c’est payé, les injures compris…

— Dans votre immonde taudis, répéta Olivier, c’est qu’il me fallait dépister de redoutables limiers acharnés à sa poursuite.

— Ah bah ! si j’avais su…

— Aujourd’hui qu’on a perdu sa trace, aujourd’hui qu’il n’y a plus de danger pour elle, même dans vos indiscrétions, je veux bien vous prévenir de ceci…