Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/187

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dans lequel il entra, après en avoir prévenu les hôtes par deux coups discrètement frappés.

La porte fut refermée immédiatement sur lui.

La carrosse est un logement élevé, construit sur le pont, à l’arrière des navires qui manquent de dunette.

Cette construction ne tient pas à la muraille du bâtiment.

On en peut faire le tour.

Les carrosses sont ordinairement couverts en planches de sapin, revêtues d’une toile goudronnée.

Les côtés en sont joints à clin.

Le carrosse, dans lequel nous pénétrerons à la suite du capitaine avait été intérieurement séparé en trois parties.

Une salle commune se trouvait réservée au milieu.

À tribord et à bâbord, on avait ménagé une chambre à coucher.

Ce carrosse, particulièrement affecté à l’habitation du comte et de la comtesse de Casa-Real, était meublé avec un luxe princier, en rapport, du reste, avec la position élevée et l’immense fortune des nobles hôtes qui s’y étaient installés durant toute une longue traversée.

Le comte de Casa-Real et sa femme, assis dans la salle commune, dans des fauteuils placés de chaque côté d’une table à roulis, achevaient de déjeuner.

Le comte, bien que paraissant avoir dépassé la première moitié de la vie, était un homme de trente-cinq ans.

Ses traits, beaux autrefois, portaient les traces indélébiles de longues et cruelles souffrances.

Sur son masque crispé, déformé, presque grimaçant, on lisait le morne désespoir produit par un mal incurable.

Son visage avait des teintes livides, qui, parfois, devenaient verdâtres.

Ses yeux caves et creux manquaient de chaleur et de vitalité.

D’une maigreur extrême, son corps flottait dans les larges vêtements noirs qui lui donnaient une apparence fantastique.

Cette maladie du comte de Casa-Real, contractée en Espagne, dans la Sierra de Grenada, à la suite d’une chasse longue et fatigante, avait mis en défaut la science des plus grands médecins européens.

Aucun d’eux n’y avait rien compris.

En fin de compte, ils lui avaient ordonné le retour au pays, espérant que l’air natal lui redonnerait un peu de ces forces qui lui manquaient et diminuaient de jour en jour.

Triste remède que ces déplacements au bout desquels on ne trouve qu’un surcroît de fatigue !

Le comte le sentait bien.

Néanmoins, il s’était embarqué à Cadix sur le brick à bord duquel nous le trouvons, non pas dans l’espérance de guérir, il avait la conviction intime que sa maladie était, mortelle, mais pour fermer les yeux dans la magnifique contrée où il était venu au monde.

— Au moins, se disait-il, je rendrai mon dernier soupir au milieu de ces