Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/188

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paysages aimés de ma première enfance, entouré des souvenirs si chers de mon heureuse et tranquille jeunesse.

On avait beau lui faire espérer que là peut-être se trouvait pour lui une recrudescence de vie et de santé.

Il secouait tristement la tête et souriait avec mélancolie, mais il ne tendait la main à aucune de ces illusions flatteuses.

De la comtesse de Casa-Real, nous ne dirons rien, quant à présent, sinon que, toute jeune encore, elle était belle d’une beauté éblouissante et hardie.

Le contraste de cette magnifique et vivace nature aux prises avec la nature étiolée, avec l’apparence moribonde, avec l’essence cadavérique du comte, avait quelque chose de navrant.

Il était en vérité bien difficile de dire auquel de ces deux êtres, si différents et si intimement liés, on s’intéressait.

L’homme inspirait la pitié par ses souffrances physiques.

La femme semblait tout aussi à plaindre.

On la voyait sans cesse aux côtés de ce cadavre vivant ; on subissait toutes ses douleurs, on partageait tous ses dévouements.

Pourtant, dès que leurs amis ou leurs visiteurs les laissaient seuls, dès que le comte avait la tête tournée ou s’abandonnait à un sommeil réparateur ; la physionomie de la jeune créole changeait.

Par moments elle songeait.

Et sa rêverie ne devait pas la conduire dans le pays des rêves dorés, des songes bienfaisants ; car l’expression douce et caressante de ses traits se métamorphosait en une implacable dureté.

Elle regardait le comte de Casa-Real, dans d’autres moments, et de ses longues prunelles de velours s’échappait une lance de feu.

Un médecin particulièrement attaché à la personne de M. de Casa-Real se tenait immobile derrière la comtesse, et surveillait le malade.

Deux domestiques desservaient la table.

Les ordres qu’ils avaient reçus étaient si sévères, qu’ils allaient, venaient sur le parquet sans produire le plus léger bruit nuisible au repos de leur maître.

En entendant la porte s’ouvrir, le comte releva la tête.

Le capitaine venait d’entrer.

Lui tendre la main en essayant de sourire avec affabilité fut tout ce que put faire le malade.

La comtesse, au contraire, demeura immobile.

Ses yeux se baissèrent involontairement, et une vive rougeur empourpra son visage.

— C’est vous, mon cher capitaine, dit le comte, soyez le bienvenu. Heureux, vraiment bien heureux de vous voir.

— Je me rends à vos ordres, monsieur le comte, répondit le capitaine. Que désirez-vous de moi ?

— Asseyez-vous d’abord.

Le capitaine se rendit à l’invitation de son hôte.

Ce dernier reprit :