Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/189

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— Nous voici arrivés. Nous allons descendre à terre.

— En effet, quand il vous plaira.

— Je désire vous remercier, cher monsieur, de la sollicitude, de la gracieuseté avec laquelle vous m’avez traité pendant notre traversée. Un parent, un ami dévoué, n’aurait pas veillé sur moi avec plus de bonté et de zèle intelligent.

— En vérité, monsieur le comte, vous me rendez confus.

— Non pas ; merci encore une fois. Il ne me reste que peu de jours à vivre, mais tenez pour certain que jusqu’à mon dernier souffle je garderai de vos bons soins le meilleur et le plus touchant souvenir.

— Je n’ai fait que mon devoir, monsieur le comte, fit le capitaine avec une respectueuse compassion, vous ne me devez rien pour ces soins dont vous prenez la peine de me parler. Quant au reste, à votre précieuse santé, vous vous trompez, je l’espère, j’en suis convaincu. Il vous reste encore de longs jours à vivre.

— De longues souffrances alors. Est-ce là ce que vous me souhaitez ?

— Dieu m’en garde, monsieur ! mais le docteur nous assure…

— Le docteur fait son métier, ajouta le comte de Casa-Real en amortissant par la tranquillité, par l’aménité de son accentuation, ce que ses paroles pouvaient renfermer de dur pour le médecin qui n’en perdait pas une, mais il n’espère pas plus que moi ma guérison.

— Je n’ai pas dit cela, interrompit le médecin.

— Connaissez-vous un médecin qui n’agirait pas comme vous, mon cher docteur ? Votre conduite me paraît naturelle, et je l’approuve. Les miracles sont rares aujourd’hui. Il en faudrait un pour me conserver l’existence.

— On le fera.

— Espérons-le, capitaine, puisqu’il serait le bien reçu de tous ceux que j’aime, répliqua le comte de Casa-Real évitant de rencontrer le regard de sa femme.

— Et de tous ceux qui vous aiment, monsieur le comte, ajouta lentement la belle créole.

— C’est que j’allais dire : vous ne m’avez pas laissé le temps d’achever ma phrase, chère Hermosa.

Mme de Casa-Real se nommait Hermosa, mot espagnol qui veut dire belle : jamais nom ne fut mieux porté.

— Pourquoi affliger de la sorte madame la comtesse ? dit froidement le capitaine.

— Ma femme ?

— Elle et tous vos amis ou serviteurs.

— Vous avez raison, capitaine. Il ne faut pas me laisser aller à un découragement irrémédiable.

La comtesse venait de s’approcher de sa chaise.

— Puis à quoi sert de vous affliger, Hermosa ? Mieux que personne j’apprécie la grandeur de votre dévouement et le mérite de l’abnégation dont vous donnez la preuve en vous astreignant à ne jamais me quitter.

— Pas un mot de plus, cher comte, répondit la créole en lui mettant avec