Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/198

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— Mettons-en dix, quoique ce soit bien long ! fit le comte en soupirant. Enfin, pourvu qu’il n’arrive pas de nouveaux obstacles d’ici là !…

— De ma part, je vous en réponds.

— Mais puis-je répondre que de la mienne il n’en surgisse pas cinquante… tandis que si je vous emmenais…

— Il ne vous arrivera rien que de favorable, je l’espère, monsieur le comte, répliqua le marin, qui examinait la comtesse d’un œil aussi sévère que s’il avait été, lui, le juge, et la comtesse l’accusée.

Celle-ci tressaillit, mais ne souffla pas mot.

— Soit ! s’écria le comte de Casa-Real sans rien remarquer, dans dix jours vous serez nôtre.

— Je vous le promets, je m’y engage formellement.

— Je compterai sur vous. Comtesse, nous partons.

— Vous me voyez prête, mon ami.

Le capitaine sortit du carrosse.

Une heure plus tard, le comte de Casa-Real et sa femme quittaient le brick avec toute leur suite.

En mettant le pied sur le pont volant qui faisait communiquer le navire avec le quai, la comtesse se retourna, et se penchant vers le capitaine, qui lui donnait le bras, elle lui dit d’une voix étouffée :

— Vous viendrez à Casa-Real, n’est-ce pas ?

Noël se taisait.

— Je le veux.

Rien.

— Je vous en conjure.

— J’agirais mieux en ne venant pas, madame.

— Non. Il le faut.

— Parce que ?

— Parce que si vous ne venez pas au château, c’est moi qui viendrai vous chercher ici.

— Folle ! murmura Noël.

— Folle ! soit ! mais je veux que vous ne vous éloigniez pas ainsi de moi, et ma volonté se fait toujours, vous le savez.

Elle lui parlait bas, le sourire aux lèvres, jouant de l’éventail ou du mouchoir.

Elle était ravissante de coquetteries hypocrites.

Il eût fallu avoir un cœur de bronze pour ne pas se rendre à ses désirs et à ses minauderies.

Le capitaine s’inclina, et après l’avoir accompagnée jusqu’à son palanquin, après avoir serré une dernière fois la main à son mari, il regagna son navire, en se disant, à part lui :

— Non ! Ce n’est pas possible ! Je me serai trompé ! Un vase aussi parfait ne renferme pas un poison aussi terrible : Oh ! je saurai tout. Pour savoir, il faut voir. J’irai au château de Casa-Real, et là je verrai, je saurai !